L'idée de départ était bonne, mais le résultat est plutôt décevant.
Initialement, Besson s'était mis en tête de raconter l'histoire des personnages d'un tableau d'
Edward Hopper. Comme j'aime le travail de ce peintre et que j'ai aussi une fâcheuse tendance à broder des histoires à partir d'une simple image (plus souvent une scène aperçue dans la rue qu'un tableau, mais le principe est le même), je me disais que nous avions au moins deux points communs,
Philippe Besson et moi, et que nous allions nous retrouver. Ce ne fut pas le cas.
Tout d'abord, la méthode narrative employée est plutôt agaçante. Pas dès le départ, puisque l'auteur commence par exposer les réflexions personnelles que se font, in petto, les deux premiers personnages présents (la femme à la robe rouge et le serveur). Même s'il y a déjà quelques longueurs, ça peut passer. Mais c'est ensuite, quand un puis deux autres hommes entrent dans le café, que les choses se gâtent. Car on assiste alors à des échanges de paroles entrecoupées de longues explications sur chacune des phrases prononcées, sur leur sens, le ton employé, l'historique que sous-tend chacune de ces répliques.
Ensuite, le style est étrangement plat, froid. Les explications dont je parle plus haut, faites au présent, sont un descriptif dans lequel je n'ai trouvé aucune âme, ayant l'impression parfois de lire des constatations d'huissier plutôt qu'un roman. Et puis, ce qui n'arrange rien, c'est que ce style est parsemé de ce que j'appellerais des "fautes de goût". En effet, régulièrement, surgit l'un ou l'autre mot qu'on sent ne pas être à sa place. Soit parce que son sens est totalement décalé, exagéré, soit parce qu'il appartient à un registre lexical totalement différent de celui qui prévaut tout le reste du temps. Je me souviens notamment du mot "fortiche" qui apparait pour décrire l'incapacité de l'un des personnages à exprimer ses sentiments. Tout cela sent l'utilisation inconsidérée d'un dictionnaire des synonymes. Enfin, bon, c'est mon humble avis.
Le troisième point négatif, à mon sens, est le manque total de cohérence du roman. Les personnages changent d'état d'esprit sans cesse, oscillant du regret à la haine, de l'amertume au désir, de l'affliction la plus profonde à l'envie subite de manger un bon et gros sandwich. Evidemment, les personnages sont bouleversés, mais ces bouleversements sont exposés avec un certain manque de finesse.
D'autant plus (quatrième grief que je ferai à ce roman) que l'auteur nous prend pour des demeurés, au point de répéter deux ou trois fois certains mots où certaines phrases, sous des formes différentes. Une fois encore : merci le dictionnaire des synonymes.
Trois exemples (tirés d'un seul et même paragraphe) : "Dès l'instant qu'elle ne l'a pas chassé, elle a admis sa présence à lui, elle a concédé implicitement qu'elle acceptait cette présence, elle en a fait quelque chose d'acquis, d'incontournable, sur quoi on ne reviendrait pas. Alors, il force sa chance. Il pousse Louise à reconnaître qu'elle souhaite, au fond d'elle, qu'il ne parte pas, qu'il reste".
Enfin, le dernier élément qui m'a déplu, ce sont les libertés que l'auteur a pris avec le tableau. Il commence par décrire la robe rouge et l'habit du serveur : jusque là, tout va bien. Mais ensuite, quand les hommes arrivent, aucun n'a de chapeau ni de cravate. Ils sont en tee-shirt. On comprend vite que l'histoire ne se passe pas en 1942, date à laquelle
Edward Hopper à peint "Nighthawks". On le comprend d'autant plus quand la femme à la robe rouge sort son portable. Ah ! Quelle belle invention que le téléphone portable ! Cela permet de faire intervenir des personnages extérieurs et d'apporter des rebondissements de la façon la plus facile qui soit. Surtout quand il sonne (comme par hasard), au moment où l'un des hommes présents s'éloigne pour aller aux toilettes (encore une facilité scénaristique, selon moi). Et puis, l'histoire ne se passe pas à New-York, en pleine nuit, comme dans le tableau, mais à Cape Cod, en début de soirée, au moment où le soleil descend sur l'horizon.
Evidemment, ce n'est qu'un détail. Mais il ne faut pas dire que l'on raconte l'histoire d'un tableau quand on change des éléments du tableau.
Par ailleurs, je me suis renseigné sur ledit tableau et il apparait qu'il provient lui-même déjà d'une histoire... écrite par
Hemingway. Et parmi les personnages représentés par Hopper, il y en a deux auxquels
Hemingway avait donné un rôle de tueur... Là, ça doit être intéressant...
Lien :
http://sebastienfritsch.cana..