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Critique de 4bis


Faire l'histoire n'a jamais suffi et depuis des millénaires, il s'est toujours agi de la raconter aussi. Annales, mémoires, épopées, hagiographies, les genres diffèrent mais l'intention reste la même : graver dans le marbre, ou dans les esprits au moins, les récits fondateurs d'une communauté, la gloire des héros qui les ont constitués.

Mathieu Belezi joue avec cette ambition pour faire de Moi, le glorieux un monument littéraire, faux panégyrique et vrai réquisitoire contre la colonisation de l'Algérie. En une allégorie aussi splendide que grotesque, il ramasse toutes les époques de cette histoire, tous les méfaits des colons sous la seule figure d'Albert Vandel, héros de l'outrance, conséquemment âgé du même nombre d'années que la première spoliation, soit 140 ans.

Nous commençons à écouter le discours interminable et enfiévré de ce vieux bonhomme salement diminué alors que sa luxueuse maison est assiégée par les armées de libération. Sa verve, elle ne cède en rien à sa splendeur d'antan : « Je peux vous le dire, ils ne m'auront pas ils peuvent pointer leurs pétoires sur ma villa, me menacer des pires horreurs ils ne m'auront pas » et ainsi, sans aucun point à aucune phrase, mais, heureusement pour le lecteur, des retours à la ligne et un usage décent de la virgule, se poursuivra sa litanie où il ressassera interminablement tant ses hauts faits que les ripailles, orgies et pillages qui les auront célébrés. Ouhria, la petite servante qui a choisi de rester avec lui dans la défaite aussi, en aura les oreilles saoulées durant toute cette nuit où, croyant raconter sa légende dorée, il livrera le compte de ses atrocités.

Démesure, outrecuidance, colère homérique, représailles, vengeance, rapts et batailles nocturnes, c'est bien du souffle épique que bruissent ces pages et si Albert Vandel est abject, si ses faits de gloire sont des rapines, des viols et des assassinats, la plume de Mathieu Belezi leur donne une puissance magistrale.

Au fil de la nuit, les souvenirs remontent, les toutes premières années où les territoires étaient encore à conquérir et Albert un jeune blanc bec sans fortune racontent la crédulité des populations, l'achat de terres à vil prix, les chasses triomphales des lions du désert. On voit aussi le pouvoir parasite de l'administration française qui ordonne, organise, cartographie et érige de nouvelles classes, de nouvelles hiérarchies aussi absurdes, gratuites que lucratives. On ne compte plus les cadavres de femmes préalablement violées par des dizaines de soudards, les bouteilles éclusées, les banquets et les coups de braquemart de cet Albert aussi bavard que vantard.

C'est vulgaire, c'est fat, c'est ridicule. C'est farcesque, drôle et pathétique. Et en contre point, la beauté des paysages d'Algérie, les nuits, les silences, les odeurs comme un hymne à un pays dévasté.

Moi, le glorieux est une réédition entièrement revue par l'auteur d'un roman publié en 2011 au sein de l'ouvrage Les vieux fous. Il semble que le grand succès de Attaquer la terre et le soleil ait auguré pour 2024 une meilleure réception à ce texte resté peut-être jusqu'ici assez confidentiel. Il est vrai qu'il aurait été dommage que ce roman reste méconnu, le style est flamboyant, sublime et emporte comme dans une transe qui s'y baigne. Il sert magnifiquement un propos complexe qui dénonce les méfaits de la colonisation, bien sûr, mais dépeint aussi, à peine déformées par la distance ironique, les ambitions qu'elle a pu porter et le réel sentiment, aussi illégitime soit-il, des colons d'avoir été dépossédés.

Malgré le panache et l'intelligence de ce texte, je me suis parfois un petit peu lassée de ses répétitions et des cercles d'horreurs grotesques dans lesquels il nous entraine. C'est nécessaire au propos et la langue est toujours splendide mais mon esprit critique jamais longuement endormi y a trouvé quelques dispensables redites avec le fond d' Attaquer la terre et le soleil qui était, d'ailleurs, plus court. Mais que cela ne vous empêche pas de découvrir ce très beau roman !
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