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Pierre-François Garel (Autre)Éditions Thélème (Autre)
EAN : 978B081VSH6ZD
Editions Thélème (30/11/-1)
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4.24/5   2413 notes
Résumé :
À Angoulême, David Séchard, un jeune poète idéaliste, embauche dans son imprimerie un ami de collège, Lucien Chardon, qui prendra bientôt le nom de sa mère, Rubempré. Poète lui aussi, il bénéficie d'une sorte de gloire locale et fréquente le salon de Louise de Bargeton, dont il tombe bientôt amoureux, et avec qui il part pour Paris. Voilà bientôt Lucien lancé dans le monde des lettres et la haute société, mais si Paris est la ville des « gens supérieurs », ce sera ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (149) Voir plus Ajouter une critique
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Une grande inspiration, un oeil décidé et c'est parti pour cette critique qui me tient tant à coeur. C'est que j'ai peine à vous dire tout l'amour que j'ai pour Balzac en général et pour les Illusions Perdues en particulier.

Il est tellement malmené au lycée ; on lui fait porter un tel chapeau à mon pauvre petit Honoré ; on nous donne souvent tellement peu envie de s'aller essayer à la Comédie Humaine que c'en est presque consternant. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir varié tant la taille que le type de ses écrits, mais tout tourne autour de 4 ou 5 titres qu'on se refile d'année scolaire en année scolaire, comme un vilain rhume.

Ici, vous êtes au centre de l'édifice, énorme, labyrinthique, monumental que constitue la Comédie Humaine, vous êtes au coeur du donjon, vous admirez le pilier médian, porteur essentiel, pour ne pas dire porteur DE l'essentiel. Quand bien même n'aurait-il écrit que cet unique roman, Balzac eût été, sans nul doute, l'un de nos plus grands écrivains de langue française.

En effet, l'auteur déploie dans ce livre sa quintessence, celle qui en fait un géant de la littérature française et mondiale. Pas UN Balzac, mais LE Balzac, le MAGIC-BALZAC comme on le rêve : riche, tonique, corrosif, lucide, drôle et tout, vraiment tout, ce qu'on peut attendre d'un roman du XIXème siècle.

Chapeau bas Monsieur Balzac ; on a beau dire, on a beau faire, ils ne sont pas si nombreux ceux qui vous arrivent à la cheville et, s'il fait moins vibrer les trémolos du pathos que ne le fait Victor Hugo, ne nous y trompons pas, cette oeuvre est du calibre des Misérables, aussi franche et savoureuse que le Comte de Monte-Cristo, les deux seuls romans francophones de ce siècle à pouvoir faire moindrement le poids face à ce monstre sublime que nous a légué Honoré de Balzac.

Si vous ne souhaitez pas savoir du tout de quoi parle ce roman, je vous conseille de vous arrêter ici dans la lecture de cet avis. En revanche, si vous voulez en connaître un peu les grandes lignes, je vous en taille à la serpe les pourtours dans ce qui suit :

La première partie intitulée Les Deux Poètes nous présente, vous l'imaginez, les deux amis : l'un, David Séchard, fils d'un imprimeur d'Angoulême, économe, la tête sur les épaules, qui a fait des études à Paris et qui a surtout compris qu'il ne pourrait jamais compter sur son père, aussi avare dans son genre que le père Grandet (voir Eugénie Grandet) ce qui n'est pas peu dire.

L'autre, Lucien Chardon, fils d'un apothicaire, issu d'une branche noble par sa mère, les " de Rubempré ", possède un talent littéraire indéniable et semble attiré par le grand monde et les lumières de la grande ville comme les papillons sur les lampes à incandescence.

La question étant de savoir s'il se brûlera les ailes auprès de Madame de Bargeton, une célébrité aristocratique locale. le titre du roman pourrait presque, à l'extrême limite, vous donner un tout petit indice, mais je n'en suis pas bien sûre...

La deuxième partie, Un Grand Homme de Province À Paris, comme son nom l'indique, déplace l'un des personnages principaux, Lucien Chardon (ou de Rubempré selon qu'on considère ou non son ascendance noble du côté maternel), d'Angoulême à Paris.

Lucien quitte tout pour les beaux yeux de cette aristocrate provinciale, Madame de Bargeton, qui s'est éprise de lui. Très vite, le grand monde va se charger d'exclure ce rejeton illégitime de la noblesse et donc, de faire cesser l'admiration de Mme de Bargeton pour son petit protégé de poète.

En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, seul et avec le coût exorbitant de la vie parisienne, Lucien se retrouve dans l'indigence la plus noire, avec pour seul espoir, sa jeunesse et son talent de plume. Il a le bonheur de faire la connaissance de Daniel d'Arthez, jeune écrivain incorruptible, initiateur du Cénacle, cercle d'amoureux des arts, prêts à tout pour aller jusqu'au bout de leur art sans tremper jamais dans aucune compromission, d'aucune sorte.

Lucien sera très vite fasciné par cet droiture morale, cet ascétisme de pensée et de travail, dont les résultats commencent à porter leurs fruits dans son esprit critique et dans son maniement de la plume.

Cependant, Lucien, pauvre comme les pierres, va lorgner abondamment vers les lumières du journalisme et ses succès faciles, richement rétribués. L'ascension de Lucien va être fulgurante, lui permettant au passage de tailler des costards à ses vieilles connaissances angoumoisines qui l'ont si lâchement laissé tomber à son arrivée dans la capitale.

Néanmoins, être talentueux n'est pas sans risque, comme vous le découvrirez à la lecture de cette partie. Balzac nous offre des pages sublimes et dresse un portrait corrosif et peu flatteur tant du journalisme que du monde de l'édition. Un portrait qui sent éminemment le vécu et qui ne semble pas avoir pris une ride.

Les requins et les fourbes d'aujourd'hui ne sont guère différents de ceux d'hier. C'est en cela que l'universalité et le talent de visionnaire De Balzac étaient (Baudelaire s'en émerveillait), sont et demeureront impressionnants.

Dans la troisième et dernière partie baptisée Les Souffrances de L'Inventeur, après ce long épisode parisien ayant Lucien pour protagoniste principal, Balzac poursuit en synchronique avec la destinée de sa soeur Ève et de David Séchard, restés à Angoulême dans le même temps.

L'auteur y développe, avec un luxe qui sent trop le vécu pour ne pas avoir son origine dans ses propres mésaventures personnelles, la savante machinerie de l'extorsion de l'invention d'un concurrent par le biais des lois, le concours des créanciers et l'entremise des hommes sensés être les garants de l'équité sociale. Ainsi, David Séchard, mis dans de cruels draps par les trois faux billets de mille francs signés à son insu par Lucien, se retrouve entre les griffes voraces des frères Cointet, imprimeurs, usuriers et banquiers d'Angoulême.

Malgré la défense héroïque du secret de fabrication de David par les deux infortunés époux Séchard, le destin s'acharne à leur vider les poches (enfin, le destin, c'est surtout les frères Cointet, Petit-Claud, l'avoué véreux, le fourbe Cérizet, l'avare père Séchard et Lucien involontairement par-dessus le marché).
Lucien, voyant dans quelle déroute il a mis sa soeur et son beau-frère est prêt au sacrifice suprême, mais il rencontre un bien singulier prêtre, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un ancien bagnard qu'on a bien connu dans le Père Goriot...

Balzac règle ses comptes avec les usuriers, banquiers, notaires, avocats et autres juges. Bref, une fin sublime pour ce roman qui ne l'est pas moins, et de bout en bout, mais tout ceci, vous l'aurez compris, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose, le mieux, et de loin, que vous ayez à faire, c'est de le lire. Je vous rembourse la différence si vous n'y trouvez pas votre compte et n'êtes pas satisfaits.

P. S. : c'est dans ce roman que Balzac invente un néologisme qui fera long feu, notamment via Jacques Brel, à savoir la " soulographie ".
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Ce roman est d'une richesse incroyable, il nous brosse un tableau des plus précis de la vie aussi bien parisienne que provinciale au tout début du XIX ème siècle.
Balzac tire à boulets rouges sur la presse, le monde du spectacle, la banque, la justice et les tout débuts du système capitaliste. Et encore une fois, à travers des personnages magnifiquement bien campés, il expose aux yeux du lecteur toute l'étendue des bassesses dont l'homme est capable.
A travers le personnage de Lucien et ceux de sa famille, il illustre la question de l'ascension sociale à cette époque et nous en montre les redoutables obstacles.

Le roman se compose de 3 parties (selon mon découpage personnel). La première présente la famille de Lucien, son environnement provincial et relate son introduction dans la haute société angoumoisine. Dans la deuxième partie, Lucien vise plus haut encore et débarque dans ce Paris qui le fait tant rêver et lui semble si prometteur mais qui ne sera pour lui que désillusions. Dans la troisième partie, c'est le retour à Angoulême avec une plongée dans les affaires de la petite imprimerie familiale aux prises avec ses concurrents et l'espionnage industriel.

Ce qui rend ce roman extrêmement réaliste et vivant, c'est que Balzac s'est inspiré de sa propre expérience et qu'il y parle de ses propres désillusions. Comment ne pas faire le rapprochement entre l'auteur et Lucien qui souhaite à tout prix devenir un écrivain reconnu et qui se heurte à un milieu difficile, fermé et surtout soumis au bon-vouloir de la presse ? Même chose lorsque Lucien embrasse la profession de journaliste.
Bref on sent que Balzac maîtrise à fond son sujet nous offrant des pages incroyablement détaillées sur le monde de l'imprimerie, de la banque et de la justice ( il y est même allé un peu fort là, je n'ai rien compris du tout …)
Plus que ça encore, Balzac était quand même plutôt visionnaire. C'est incroyable de constater qu'au tout début du XIXème siècle, il a pu sentir la dimension que prendrait le pouvoir de la presse et ses propos sonnent de façon très actuelle :

« le Journal au lieu d'être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s'est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme le dit Blondet, une boutique où l'on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S'il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n'est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. »

L'intrigue est magistralement menée du début à la fin, on va de rebondissements en rebondissements, on s'apitoie sur le pauvre Lucien pour mieux pester contre lui quelques pages plus loin.
Les personnages De Balzac sont véritablement représentatifs de la nature humaine, aucun n'est tout blanc ou tout noir, on les voit changer, évoluer, se comporter différemment en fonction de leur situation.
On retrouve aussi de vieilles connaissances rencontrées dans le Père Goriot ou La Duchesse de Langeais et on réalise qu'on s'est probablement mépris sur certains d'entre eux ( n'est-ce pas Eugène ?). Une surprise attend le lecteur à la fin ( d'où l'intérêt de lire le Père Goriot avant) et qui me rend impatiente de savoir ce qu'il adviendra dans Splendeur et misère des courtisanes.

Beaucoup de thèmes sont donc abordés à travers ce roman qui constitue apparemment une sorte de concentré de ce que Balzac a pu écrire dans ses autres textes. Autant dire qu'on y trouve de tout et qu'on ne peut absolument pas s'ennuyer : amours déçus, trahisons, célébrité, déchéance, misère, jalousies en tout genre, égoïsme, amour familial, amitié, pardon, chantage, passion, fièvre et acharnement du chercheur et j'en oublie !
J'ai aussi adoré les descriptions de Paris ( celle de la Galerie des Bois ) où vraiment Balzac retranscrit l'atmosphère, l'ambiance du lieu à un point qu'on s'y croirait.

Voilà, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter de plus sans trop en dévoiler. J'avais très peur de me lancer dans cette lecture, je m'imaginais un sujet plutôt austère et le nombre de pages m'intimidait aussi. Mais je suis ô combien heureuse d'avoir tenté l'aventure tout de même car Illusions perdues est, pour l'instant, le meilleur classique qu'il m'ait été donné de lire.

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Le repos forcé m'a donc permis de lire en toute quiétude le roman entamé fin décembre. Toutes les conditions étaient requises pour l'apprécier dans les meilleures conditions car ce n'est pas le genre d'oeuvre qu'on peut lire dans le métro. le roman De Balzac est découpé en trois parties et il n'y a pas de chapitres intermédiaires permettant des pauses impromptues. Il faut se lancer dans la lecture de longs passages sans craindre d'être stoppé dans son élan et ne reposer le livre que lorsque l'intrigue le permet. Ce roman est le condensé ou l'illustration parfaite de sa géniale Comédie Humaine. Comment un homme peut-il écrire autant, si bien, avec une telle cohérence globale ? Je ne vais pas me lancer dans une analyse poussée du roman encore moins de l'oeuvre titanesque De Balzac, d'autres plus calés que moi l'ont déjà fait et le referont encore. Néanmoins je constate une nouvelle fois que la lecture des grands classiques de la littérature permet de remettre les choses à leur place, de nombreux livres sont édités, beaucoup sont très agréables à lire mais entre un bon livre et un chef-d'oeuvre il y a une différence que même le béotien remarque. Aussi quand je parcours certaines critiques dithyrambiques sur des best-sellers à peine éclos des imprimeries Brodard et Taupin à La Flèche (Sarthe) -par exemple- je leur accole un bémol d'emblée. Pour en revenir aux Illusions perdues (et non pas Les illusions perdues) « l'absence d'article défini – cas unique chez Balzac- montre clairement le caractère absolu de la désillusion » vous en sortirez étourdi et sonné par le machiavélisme des personnages où l'intérêt et l'ambition priment sur tout autre sentiment, les alliances se font et se défont au gré des rebondissements. Lucien de Rubempré pauvre poète monté d'Angoulême à Paris nous permettra d'évoluer dans le monde de la littérature, de la presse, du théâtre, de la bourgeoisie et de l'aristocratie où tous ont partie liée selon le sens du vent. L'intrigue est puissante, atterrante quand Lucien trahira ses amis ou ruinera sa famille, éblouissante quand Balzac démonte sous nos yeux tous les mécanismes économiques et moraux qui enrichissent ou ruinent ses personnages. Paru vers 1840 le livre reste terriblement moderne et tout aussi extraordinaire. Chef-d'oeuvre s'il faut encore le répéter.
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Lu il y a une quinzaine d'années, j'ai pris un très grand plaisir à retrouver cette histoire certes classique (mais bon Balzac c'est classique non ?) mais au combien intemporelle des papillons de province attirés par les lumières de la capitale et s'y brûlant les ailes. le papillon ici c'est Lucien de Rubempré qui pour arriver à ses fins (l'amour, la gloire et la fortune pour faire court) mettra en péril financier et plongera dans la désespérance sa soeur, sa mère, son beau-frère et ami. La description de la bourgeoisie de province angoumoise est redoutable et saisissante, mais les artifices de la société parisienne en prennent également largement pour leur grade. On retrouve dans ce livre le portraitiste au vitriol qu'est Balzac (deux exemples parmi tant et tant au fil de ces pages : le portrait du père Séchard, et de son avarice, type « le père Goriot », et celui de Louise de Bargenton, muse de Lucien tour à tour délaissée et sans états d'âme). On appréciera aussi les descriptions fines et détaillées de divers corps de métier liés à l'écriture: les imprimeurs, les journalistes, les éditeurs.
Une fois l'histoire connue, la relecture de ce livre est un régal, et le titre de l'oeuvre De Balzac (La Comédie Humaine) prend tout son sens dans ce roman fleuve aux accents de modernité. le volume unique constituant « Illusions perdues » est dû au regroupement de trois romans séparés publiés sur une petite dizaine d'années entre 1837 et 1845. Je conseille vivement cette version du livre de poche de 2006, et l'imposant travail d'explication et de notification effectué par P. Berthier, spécialiste de littérature du XIXème siècle. Ces apports au fil du texte sont souvent très érudites mais diablement intéressantes, en particulier sur le passage entre les trois romans initiaux et le roman unique (liens entre les différentes parties, problèmes de chronologie dans l'histoire,…). le texte De Balzac s'agrémente ainsi de nombreuses notes de bas de page décrivant par le menu les différentes versions publiées dans la très renommée édition Furne, les tournures de style typiques du XIXème siècle et aujourd'hui désuètes, les fautes de style assez nombreuses commises par Balzac. La langue française utilisée dans ce roman est une véritable gourmandise.
La lecture est parfois difficile, le mode « feuilleton » dans lequel ce texte fut initialement publié explique les longueurs du texte (Le feuilletoniste du XIXème siècle était rémunéré au mot), les passages abordant les problèmes d'argent sont assez complexes et parfois rébarbatifs. Mais l'universalité des personnages et des thèmes sociétaux abordés, la complexité des personnages et le regard féroce De Balzac sur ces contemporains et sur la société font pour moi de ce roman, avec sa suite « Splendeurs et misères des courtisanes » un véritable chef d'oeuvre de la littérature.
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Excellente observation du comportement humain. Les temps ont changé ? Oh, pas tellement ! Un écrivain devra de toute façon traverser ces expériences humiliantes et perdre peu à peu ses illusions. Plus que jamais, l'homme est avide d'argent et de pouvoir, l'art n'a pas de valeur en soi...
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critiques presse (1)
Bibliobs
15 juillet 2013
Qui est-il, ce Lucien Chardon, dit de Rubempré ? Une crapule ambitieuse ? Un sage moderne, qui a compris que l’existence est vaine hors des honneurs stupides de ce bas-monde ? [...] un journaliste. Avant Bourdieu, avant Mélenchon, Balzac nous dit tout sur la presse parisienne et ceux qui la font.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (435) Voir plus Ajouter une citation
Pour être traduite par la voix, comme pour être saisie, la poésie exige une sainte attention. Il doit se faire entre le lecteur et l’auditoire une alliance intime, sans laquelle les électriques communications des sentiments n’ont plus lieu. Cette cohésion des âmes manque-t-elle, le poète se trouve alors comme un ange essayant de chanter un hymne céleste au milieu des ricanements de l’enfer. Or, dans la sphère où se développent leurs facultés, les hommes d’intelligence possèdent la vue circumspective du colimaçon, le flair du chien et l’oreille de la taupe ; ils voient, ils sentent, ils entendent tout autour d’eux. Le musicien et le poète se savent aussi promptement admirés ou incompris, qu’une plante se sèche ou se ravive dans une atmosphère amie ou ennemie. Les murmures des hommes qui n’étaient venus là que pour leurs femmes, et qui se parlaient de leurs affaires, retentissaient à l’oreille de Lucien par les lois de cette acoustique particulière ; de même qu’il voyait les hiatus sympathiques de quelques mâchoires violemment entrebâillées, et dont les dents le narguaient.
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Ah ! monseigneur, répondit le poète en espérant frapper ces têtes imbéciles de son sceptre d’or, le vulgaire n’a ni votre esprit, ni votre charité. Nos douleurs sont ignorées, personne ne sait nos travaux. Le mineur a moins de peine à extraire l’or de la mine, que nous n’en avons à arracher nos images aux entrailles de la plus ingrate des langues. Si le but de la poésie est de mettre les idées au point précis où tout le monde peut les voir et les sentir, le poète doit incessamment parcourir l’échelle des intelligences humaines afin de les satisfaire toutes ; il doit cacher sous les plus vives couleurs la logique et le sentiment, deux puissances ennemies ; il lui faut enfermer tout un monde de pensées dans un mot, résumer des philosophies entières par une peinture ; enfin ses vers sont des graines dont les fleurs doivent éclore dans les cœurs, en y cherchant les sillons creusés par les sentiments personnels.
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C’est des vers comme nous en avons tous plus ou moins fait au sortir du collége, répondit le baron d’un air ennuyé pour obéir à son rôle de jugeur que rien n’étonnait. Autrefois nous donnions dans les brumes ossianiques. C’était des Malvina, des Fingal, des apparitions nuageuses, des guerriers qui sortaient de leurs tombes avec des étoiles au-dessus de leurs têtes. Aujourd’hui, cette friperie poétique est remplacée par Jéhova, par les sistres, par les anges, par les plumes des séraphins, par toute la garde-robe du paradis remise à neuf avec les mots immense, infini, solitude, intelligence. C’est des lacs, des paroles de Dieu, une espèce de panthéisme christianisé, enrichi de rimes rares, péniblement cherchées, comme émeraude et fraude, aïeul et glaïeul, etc. Enfin, nous avons changé de latitude : au lieu d’être au nord, nous sommes dans l’orient ; mais les ténèbres y sont tout aussi épaisses.
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Plus il (Séchard) vieillissait, plus il aimait à boire. Sa passion laissait sur sa physionomie oursine des marques qui la rendaient originale. Son nez avait pris le développement et la forme d’un A majuscule corps de triple canon. Ses deux joues veinées ressemblaient à ces feuilles de vigne pleines de gibbosités violettes, purpurines et souvent panachées. Vous eussiez dit d’une truffe monstrueuse enveloppée par les pampres de l’automne. Cachés sous deux gros sourcils pareils à deux buissons chargés de neige, ses petits yeux gris, où pétillait la ruse d’une avarice qui tuait tout en lui, même la paternité, conservaient leur esprit jusque dans l’ivresse. Sa tête chauve et découronnée, mais ceinte de cheveux grisonnants qui frisotaient encore, rappelait à l’imagination les Cordeliers des Contes de La Fontaine. Il était court et ventru comme beaucoup de ces vieux lampions qui consomment plus d’huile que de mèche ; car les excès en toute chose poussent le corps dans la voie qui lui est propre. L’ivrognerie, comme l’étude, engraisse encore l’homme gras et maigrit l’homme maigre. Jérôme-Nicolas Séchard portait depuis trente ans le fameux tricorne municipal, qui dans quelques provinces se retrouve encore sur la tête du tambour de la ville. Son gilet et son pantalon étaient en velours verdâtre. Enfin, il avait une vieille redingote brune, des bas de coton chinés et des souliers à boucles d’argent. Ce costume où l’ouvrier se retrouvait encore dans le bourgeois convenait si bien à ses vices et à ses habitudes, il exprimait si bien sa vie, que ce bonhomme semblait avoir été créé tout habillé : vous ne l’auriez pas plus imaginé sans ses vêtements qu’un oignon sans sa pelure. Si le vieil imprimeur n’eût pas depuis long-temps donné la mesure de son aveugle avidité, son abdication suffirait à peindre son caractère.
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Je le connais ! il est de nature à aimer les récoltes sans le travail. Les devoirs de société lui dévoreront son temps, et le temps est le seul capital des gens qui n’ont que leur intelligence pour fortune ; il aime à briller, le monde irritera ses désirs qu’aucune somme ne pourra satisfaire, il dépensera de l’argent et n’en gagnera pas ; enfin, vous l’avez habitué à se croire grand, mais avant de reconnaître une supériorité quelconque, le monde demande d’éclatants succès.
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