Carole Allamand vit aux États-Unis lorsqu'elle apprend le décès brutal de sa mère, Nelly Suter, jeune octogénaire. Elle se sent prise de court, amputée de la possibilité de rompre le silence, de franchir la muraille qui la séparaient de cette femme avec laquelle elle a toujours eu des relations distantes. Elle retourne pour la première fois depuis douze ans à Genève, afin d'organiser les obsèques et de vider l'appartement où elle a passé son enfance. À son arrivée sur les lieux, c'est le choc. L'appartement, où règne une intolérable puanteur, est envahi du sol au plafond d'objet divers, de vêtements et d'aliments formant des empilements qui rendent le logement impraticable, et dans un état d'insalubrité inimaginable.
L'auteure découvre ainsi que sa mère, pourtant toujours élégante et tirée à quatre épingles, était atteinte du syndrome de Diogène, et réalise qu'en plus d'être superficiels, les rares liens qu'elle entretenait avec elle étaient basés sur le mensonge. Elle éprouve aussitôt le besoin de comprendre. À quel désordre intérieur, à quel besoin cette pathologie faisait-elle écho ?
En même temps qu'elle entreprend de trier et de vider, aidée de quelques amis, l'immense capharnaüm qui n'en finit pas de livrer ses sordides surprises, des souvenirs de son enfance refont surface. Elle tente d'y trouver, s'appuyant par ailleurs sur les indices que pourraient lui livrer certains des objets, les raisons de la détresse maternelle.
C'est à l'adolescence que Carole a commencé à entrevoir l'étrangeté de certains des comportements maternels, comme de ranger les ustensiles de cuisine sans les laver, d'entasser tant de vêtements ou de journaux sur les chaises qu'il était impossible de de s'y asseoir… elle se souvient également d'épisodes dépressifs. Sa priorité était alors d'échapper à cet environnement familial où elle ne recevait ni affection, ni attention. Ses parents refusant de financer ses études –« elle avait qu'à ne pas en faire »-, elle a quitté son foyer à dix-sept ans et s'est débrouillée seule.
Maintenant qu'elle se penche sur les événements susceptibles d'être à l'origine de la pathologie de Nelly, elle voit une vie faite d'empêchements et des contraintes liées à son statut de femme dans une société où le droit de vote ne leur fut accordé qu'en 1971. Sa mère n'a pas pu faire les études qu'elle voulait, a dû renoncer à son grand amour de jeunesse pour finalement subir une vie étriquée aux côtés d'un homme alcoolique et brutal, qu'elle n'aimait pas.
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Tout garder" est un récit sincère et touchant, qui trouve le juste équilibre entre résonances du deuil et enquête familiale, et devient par moments le prétexte à un questionnement plus vaste sur ce que disent de nous les pathologies liées à nos rapports aux objets. Evitant le piège des reproches face aux défaillances maternelles, et craignant constamment de réduire sa mère à son dérèglement, elle retranscrit avec pudeur la tristesse que suscite l'impossibilité définitive de pénétrer le mystère maternel et de combler une distance à jamais installée.
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