Vernon Subutex est disquaire. Un bon disquaire, non qu'il aime son métier, mais parce qu'il aime la musique. Son magasin à la République, « Revolver », fait figure de temple. On y vient pour confronter ses certitudes et ses goûts musicaux pour en parler avec le propriétaire des lieux Ou les autres adeptes, pour fumer un joint dans l'arrière-boutique.
Vernon est à la fois un confesseur, un passeur et un prescripteur. Pour son malheur il n'a pas pu, pas su ou pas voulu, voir que les temps avaient changés. Persuadé d'être dans le vrai. Peut-on avoir raison tout seul ?
Il a eu son utilité sociale et culturelle, fait découvrir le rock à des centaines de personnes, été à l'origine de la vocation de la star Alexandre Bleach, mais la société ne sait reconnaitre les talents des gens désintéressés, elle n'a aujourd'hui qu'une chose en tête, le fric :
« Depuis Zadig et Voltaire la mouise a perdu son aura poétique – alors que pendant des décennies elle venait valider l'artiste, le vrai, celui qui a préféré ne pas vendre son âme. Aujourd'hui, c'est mort aux vaincus, même dans le rock. »
Vernon est du mauvais côté du manche et quand son ami Alexander Bleach meurt, il est plus seul que jamais face à la mouise qui lui tombe dessus.
J'ai apprécié le personnage de Vernon Subutex qui rappelle les figures du disque vinyl comme Mark Zermati de l'Open Market aux Halles dans les années 1970. Virginie Despentes réussit à créer un personnage crédible qui raconte l'histoire du rock et de l'évolution de la société vers un utilitarisme forcené de plus en plus mortifère.
La description de la boutique avec les bacs remplis de pochettes vides, les disques vynil rangés dans des pochettes blanches dans des rayonnages derrière l'officiant au comptoir, capable de prendre le bon disque derrière lui en un éclair quand vous lui en présentez la pochette, est plus vraie que nature.
MC5, Motorhead, Stooges, Gun's and Roses, AC/DC, Led Zep, Adam and the Ants, U2, Clash…
Vernon est victime de « (…) l'opération CD – revendre à tous les clients l'ensemble de leur discographie, sur un support qui revenait moins cher à fabriquer et se vendait le double en magasin. »
Dans un langage à la fois relâché et précis, Virginie Despentes montre comment les anciens amis de Vernon ont fait leur pelote et comment lui s'est retrouvé éjecté du panier de la tricoteuse. le regard de Vernon sur son environnement est impitoyable. Des constats à l'emporte pièces que l'on ne peut que partager.
« Xavier a toujours été un connard de droite. Ce n'est pas lui qui a changé, c'est le monde qui s'est aligné sur ses obsessions. »
« de son temps, on attendait des enfants qu'ils deviennent des êtres sociaux, qu'ils accèdent à la sympathie. Par exemple, qu'ils répondent par l'empathie à la manifestation de tristesse chez l'interlocuteur. »
« (…) il lui suffit de croiser trois lascars pour avoir l'impression de s'enfoncer dans le Bronx. »
« le mépris se transmet aussi facilement qu'une gale. »
« (…) les jeunes gens intelligents ne sont plus systématiquement de gauche. »
« Il fait partie de cette extrême gauche virulente, visiblement à point pour basculer du côté obscur de la Force. »
« Il voit ceux qui ont pris leur retraite, à quarante ans. Palais grosses caisses et jolies putes. Ils s'installent dans des pays où personne ne s'emmerde avec les droits de l'homme, où on est en avance, faites pas chier avec les impôts. »
« (…) la rébellion contre l'autorité, ça se faisait peut-être encore quand toi t'étais jeune, il y a longtemps. On voir où ça vous a mené. Ma génération on préfère s'y prendre autrement. »
« Belle promesses hypocrites, mais les Arabes diplômés sont restés les bougnoules de la République et on les a tenus, pudiquement, à l'entrée des grandes institutions. »
« On ne racontait pas n'importe quoi, furieux d'être anonyme, condamné à sortir la connerie la plus lapidaire possible, renvoyé au silence assourdissant de sa propre impuissance. »
Je ne peux résister au plaisir de citer cette description de Johnny Halliday :
« La voix du chef, les jambes du chef, sa silhouette d'animal préhistorique, sa démarche de gonzesse burnée. Sa voix de stentor s'élève, il est décidé à faire passer tous ses collègues pour l'assemblée des chuchoteurs anonymes. Ils rient de bon coeur, saluant celui que rien n'a tué, ni les drogues à haute dose ni le ridicule ni le succès. »
Je n'ai pas développé l'histoire de Vernon, elle l'est dans les nombreuses chroniques postées ici. Après avoir été contraint d'abandonner son magasin de disques, il va se retrouver à la rue et finira par retrouver un rôle social à sa mesure, notamment pour établir ces liens que seul lui sait établir entre une personnalité et une musique. Il saura aussi préserver l'héritage d'Alexandre Bleach des appétits carnassiers du show business et détourner au ^profit de sa bande les expériences sonores de l'artiste disparu.
Un roman à dévorer qui vous dévore. J'ai découvert une auteure. le contexte, les personnages, l'écriture direct et sans fards tout concourt à me faire apprécier ce roman.
A la façon dont elle fait exploser les mots Virginie Despentes est pour moi (avis personnel que je partage) une Céline du XXIème siècle et Vernon Subutex un Bardamu contemporain.
A lire absolument sans plus tarder.
Une mention spéciale pour la série qu'en a tirée Canal+, avec Romain Duris dans le rôle de Vernon Subutex.
Lien :
https://camalonga.wordpress...