« L`atelier des miracles » qui donne son nom au roman, est une association qui vient en aide aux personnes les plus affaiblies par la vie. Qu`est-ce qui différencie cette association des autres associations caritatives ?
Elle fonctionne avec ses propres règles, sa propre morale. Des règles qui reposent entre autres sur une notion d`échange de bons procédés qui se révélera à double tranchant.
Quel est le point commun entre Monsieur Mike, Millie et Mariette, les trois personnages principaux du roman ? Qu`est-ce qui les amène à cet atelier ?
Ces trois personnages ont tous du mal à composer avec leur existence. Ils sont au pied d`un mur qui leur semble infranchissable. Mariette a toujours subi plutôt que choisi et vit dans le harcèlement permanent, qu`il s`agisse de son mari ou de ses élèves. Mike n`a pratiquement jamais été aimé pour lui-même, mais pour ce qu`il représentait de force, de puissance – il doute profondément de lui. Millie quant à elle lutte contre la culpabilité – et ne s`accorde pas le droit de vivre.
Ce ne sont pas eux qui vont vers l`atelier, mais l`atelier qui vient à eux en la personne de Jean, qui le dirige. Mais Jean a ses propres plans les concernant.
L`histoire est vue à travers les yeux et le ressenti de chacun de ces trois protagonistes. Pourquoi avoir choisi cette forme du roman choral ?
Elle s`est imposée. Comme si ces trois personnages m`avaient sommée de raconter leur histoire. En me situant tour à tour dans leur peau, j`ai pu ressentir leurs émotions dans toute leur intensité – et j`espère, les retranscrire.
L`association est dirigée par un personnage énigmatique, un certain Jean Hart. Pouvez-vous nous présenter ce personnage ?
C`est un homme ambigu, intelligent, stratège. Il se fixe des objectifs, et définit des moyens pour y parvenir coûte que coûte. Il est à la fois manipulateur et sincère dans sa volonté de faire avancer autrui. Mais son altruisme a des limites, et son obsession à sauver les autres cache une fracture ouverte. Il est plus vulnérable qu`il n`y paraît, mais aussi plus dangereux.
Ce roman aborde le thème de la seconde chance et des bienfaits de l`entraide. Pensez-vous que les réseaux sociaux puissent resserrer les liens entre les individus ou au contraire les isoler plus profondément ?
Je pense qu`ils peuvent créer des liens, j`en ai fait l`expérience. Ils permettent à certains de rompre l`isolement, à d`autres de s`exprimer et de partager des émotions sans doute plus librement qu`ils ne l`auraient fait autrement. C`est un espace précieux, même s`il comporte des risques de dérapage, et nécessite donc d`être vigilant.
Êtes-vous impliquée dans le milieu associatif ? Quel regard portez-vous sur les motivations et les moyens mis en œuvres par « L`atelier des miracles » pour réussir ses objectifs ?
Je suis impliquée depuis vingt ans derrière Jacqueline Bonheur au travers des différentes associations qu`elle a animée, et notamment Enfants Bonheur, qui se bat pour que les enfants défavorisés d`Haïti puissent être scolarisés. (http://enfantbonheur.fr).
Les méthodes très particulières de L`atelier des miracles sont l`occasion pour moi de poser question : a-t-on le droit de décider du bonheur des autres ? La fin peut-elle justifier les moyens lorsqu`il s`agit de sauver la vie d`autrui ? Que cherche-t-on pour soi-même en aidant son prochain ? Peut-on aider l`autre sans s`aider soi-même ? Et bien d`autres encore…
Découvrez "
L`atelier des miracles" de
Valérie Tong Cuong aux éditions
J.C. Lattès :
« Un roman sur les apparences trompeuses, à une époque où chacun peaufine son image au lieu de regarder la réalité en face. » ELLE
Eddie et Nora Bauer forment un jeune couple flamboyant.
À la tête d'un grand cabinet de conseil, Eddie assure à sa famille un train de vie très confortable. Quant à Nora, elle se partage entre la création de bijoux et l'éducation de Leni, adolescente promise à une brillante carrière d'athlète depuis qu'elle a été repérée par le charismatique entraîneur Jonah Sow.
L'avenir semble sourire à ces heureux du monde jusqu'au jour où Eddie apprend que son associé l'a trahi, conduisant le cabinet à la faillite. Ruiné, il fait le choix de ne rien dire à Nora, ni à Leni, et multiplie les mauvaises décisions.
Tandis que l'atmosphère familiale se dégrade, d'étranges phénomènes se produisent : des bêtes sauvages hantent les rues, des incendies rongent les collines voisines, de violentes bourrasques surprennent les habitants. Une menace plane sur la famille Bauer comme sur la ville.
Valérie Tong Cuong est l'autrice de nombreux romans salués par la critique et le public, parmi lesquels "L'Atelier des miracles" (prix Nice Baie des Anges), "Par amour" (prix des lecteurs du Livre de Poche), "Les guerres intérieures" et "Un tesson d'éternité". Elle est traduite en une vingtaine de langues.
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Tu es mon cancer, ai-je pensé. Tu as semé tes métastases avec adresse, tu m'as affaiblie d'année en année, mais Dieu sait comment, j'ai réchappé de tes attaques insidieuses, répétées, et aujourd'hui, quelque chose d'inespéré se produit, tu ne m'atteins plus, comme le prévoyait Jean, j'ai ôté ces lunettes que tu m'avais imposées, je vois le monde par moi-même, je te vois tel que tu es, un homme sans compassion, un type dévoré par l'ambition personnelle, un sale con qui m'a utilisée de toutes les manières possibles, mais qui n'a jamais aimé personne d'autre que lui-même.
p134
Je me suis caché la tête dans les mains parce que l'humidité me grimpait dans les orbites à cause de ces foutues pensées, et ça, j'aurais préféré crever plutôt que de le montrer.
P24
Dans l'ascenseur, j'ai fermé les yeux pour éviter le miroir et la violence des néons, je me sentais comme un détenu qui rentre de permission, un vieux cheval de trait qui sent l'abattoir et ralentit à chaque pas sans oser se cabrer.
p128
J'ignorais qu'il faut traverser ce genre d'événements tragiques – la perte de ce que l'on a de plus précieux au monde -, pour mesurer ce que le corps et l'âme ressentent, ce trou indescriptible au milieu de soi-même.
J'ignorais que lorsque cela arrive, il ne reste plus qu'à constater combien les efforts pour s'y préparer ont été inutiles.
Le temps et l'absence n'ont rien à voir avec l'amour, Muguette, ce qui compte, c'est ce qui le fonde. Parfois il se fonde sur une erreur d'appréciation, on croit aimer une personne, mais on aime un rêve, un désir, un idéal, quelque chose que l'on porte en soi depuis toujours et on affuble l'autre qui, souvent, s'y prête volontiers. C'est si flatteur ! Seulement à la première occasion, au premier effort, lorsque les masques tombent, l'autre apparaît tel qu'en lui-même, et rarement celui que l'on croyait aimer, l'amour devient alors sans objet, l'amour devient désillusion.
Mais nous avons tous besoin d'un cercle, même restreint, c'est humain. Savez-vous que les gens seuls meurent plus tôt ? Ils meurent de ne pas avoir d'échange. Ils meurent de ne rien dire. Ils ne demandent rien, on ne leur donne rien, alors ils meurent - et on est impuissant. (...) C'est ainsi (...) ils meurent mais il n'y a ni procès, ni poursuite, puisque le coupable n'est autre que le silence.
"Ne fais pas comme moi, ma fille, n'épouse pas un perdant, la passion est brève et l'existence est longue."
p37
J'ai même pensé ne pas rentrer. Faire croire à ma disparition. Peut-être disparaître vraiment, une corde au cou, une pierre au bout. Qu'ils pleurent un mort plutôt que vivre aux côtés d'un vaincu.
Je ne suis qu'une mise en scène, chaque jour retravaillée. Je déguise mes plaies comme un artiste masque ces cicatrices.
Elle leur serre la main. Elle a si souvent vu ce regard désemparé. Ce moment précis où les proches, les familles prennent conscience du point de bascule, ce moment où ils commencent à glisser, avalés par un monde inconnu. Cette seconde où ils comprennent qu'eux aussi entrent en détention, d'une certaine manière. Qu'ils ne pourront plus choisir mais devront obéir. Qu'ils n'auront plus la moindre marge de manœuvre mais dépendront d'une organisation obscure, du bon vouloir d'inconnus – quelle qu'ait pu être leur position sociale jusqu'ici. Qu'ils ne pourront rien épargner à ceux qu'ils aiment, ni violence ni souffrance – ou si peu. Qu'ils ne pourront plus les toucher ni les entendre – ou si peu.