Voici le début du roman Stella, de Takis Würger, qui paraitra en octobre 2020 chez Denoël.
Tout d'un coup, je suis dans la cave à vin de l'internat, le père Gerald sourit. Fais le contraire de ce que ton adversaire attend. Il le disait souvent. Son rire était si beau.
J’ai passé en revue tous les types avec qui je faisais la fête et m’entraînais, mais sans pouvoir dire si l’un d’eux m’aurait désigné comme son meilleur ami. Est-ce que n’était pas justement ça l’important dans la vie ? Pouvoir désigner quelqu’un comme son meilleur ami ? Son compagnon de route. Au fond, j’étais la preuve vivante que l’argent, une place à l’université de Cambridge et une grosse queue ne faisait pas le bonheur. Ma foi : fuck.
Mes parents me manquaient, la maison, l'odeur du vieux plancher, les meubles que mon père avait construits, chaque recoin de mur frais auquel je rattachais un souvenir. C'était un peu comme la faim que j'avais éprouvée avant un combat de boxe, quand j'avais dû jeûner pour perdre deux kilos et atteindre le poids de ma catégorie. La faim faisait un trou au niveau du ventre. La solitude me faisait un trou dans tout le corps, comme s'il n'était resté de moi que l'enveloppe vide d'un être humain.
Depuis toujours, je rêvais d’avoir des amis, de faire partie d’un cercle, et ce rêve était devenu réalité par le biais d’une imposture. Alex m’avait dit que je devais élucider un crime au Pitt Club. Certains membres de ce club étaient bizarres quand ils parlaient de femmes, comme s’ils n’avaient pour elles que du mépris, mais le plus bizarre, pour moi, c’était les femmes qui le savaient et venaient quand même aux soirées.
Longtemps avant cette soirée, quand je faisais mes premiers pas en boxe, j’avais appris que ce n’étaient pas les coups qui faisaient mal – les os du crâne sont solides –, mais l’humiliation, et comme j’étais plutôt petit, comme personne ne pensait que je pouvais vaincre un type de cent kilos en blazer bleu pâle, j’allais forcément gagner. Bien boxer quand on a peur, c’est difficile.
Mes parents me manquaient, la maison, l’odeur du vieux plancher, les meubles que mon père avait construits, chaque recoin de mur frais auquel je rattachais un souvenir. C’était un peu comme la faim que j’avais éprouvée avant un combat de boxe, quand j’avais dû jeûner pour perdre deux kilos et
atteindre le poids de ma catégorie. La faim faisait un trou au niveau du ventre. La solitude me faisait un trou dans tout le corps, comme s’il n’était resté de moi que l’enveloppe vide d’un être humain.
Chelsea, ce sont des fenêtres inondées de lumières, de hautes haies, des allées de gravier blanc. C’est presque comme si on n’était pas à Londres. Je crois que c’est pour cette raison que j’ai toujours aimé être ici.
Avant l’internat, j’ai vécu dans une villa du Somerset. Le silence dans la nuit, le parfum des fleurs au matin, l’attente du jour où l’on presserait le raisin. Telle a été mon enfance.
À une époque, Londres, son béton et sa sarabande de lumières me rendaient dépressif. Le métro est le péché de la civilisation, on y est coincé comme un porc en route pour l’abattoir, on respire les vapeurs d’inconnus, il fait toujours trop chaud et il y a toujours quelqu’un pour éternuer. C’est le moyen de transport le plus grossier qui soit. Quand je pense aux visages des gens qui sortent des bouches de métro, mon humeur tourne toujours à l’aigre.
On dit que les Londoniens sont désagréables envers les étrangers. Je crois au contraire que les Londoniens sont des gens foncièrement sympathiques – jusqu’à ce qu’ils mettent les pieds dans le métro le matin et perdent la boule.
Dans la cour, devant son bureau, les pavés avaient l’air d’avoir été posés au Moyen Âge, ce qui devait même être le cas. Au cours des siècles, le cuir durci de milliers de semelles d’étudiants en avait poli et arrondi chaque aspérité. J’étais resté dehors pendant une demi-heure, appuyé contre un mur, et j’avais observé les étudiants, qui ressemblaient à mes camarades d’internat. En les regardant, je n’avais rien vu en eux qui les unisse ni les distingue. Il y avait des étudiants à la peau sombre, des Asiatiques, des Blancs, des jeunes gens en pantalon de coton informe, en jupe courte, en costume, avec des sacs à dos, des attachés-cases, des sacs en toile ou des livres à la main. Je m’étais tout d’abord dit qu’il n’y avait pas de profil type de l’étudiant de Cambridge, puis j’avais remarqué que certains, les hommes surtout, levaient le menton un peu plus haut que ce à quoi j’étais habitué : ils semblaient savoir un peu mieux que les autres qui ils étaient, c’était du moins l’impression qu’ils m’avaient donnée.
Montre moi la manière dont une personne traite les animaux, et je te dirai si elle a du coeur.
« [...] Il n’y a que deux catégories de gens à Cambridge. Ceux qui sont riches jusqu’à l’absurde, et ceux qui essaient de paraître plus riches qu’ils ne le sont. Parfois, je me dis que je suis le seul à être normal, ici », a-t-il dit.