Sylvie Coche

Le « Guinness » des mamans

Dans tous les domaines de la vie, il y a des idées reçues et notre profession n’échappe pas à cette règle.

Concernant par exemple la prise de poids pendant la grossesse, les vieilles idées ont encore la part belle : « Il faut manger pour deux ! Si tu ne manges pas assez, ton bébé va être trop petit ! »

Pourtant, à moins de vivre dans des contrées où les mamans ne mangent pas à leur faim, les bébés, chez nous, ne manquent de rien et la nature a même prévu de privilégier le bébé.

J’ai vu les extrêmes en termes de prises de poids, avec parfois de sacrées surprises à l’arrivée. La prise de poids la plus impressionnante que j’aie vue était de plus de 38 kg chez une patiente d’1,55 m. Elle a pourtant accouché près du terme d’un petit bébé de 2,4 kg. La montagne avait accouché d’une souris !

À l’autre extrême, j’ai vu une patiente qui souffrait d’anorexie. Elle n’avait même pas pris 3 kg et a pourtant mis au monde une petite fille de 3,5 kg.

Alors, Mesdames, évitez simplement les sucreries et les sodas. Mangez équilibré et vous retrouverez votre silhouette de jeune fille en deux coups de cuillère à pot.

Certaines mères préfèrent ne pas allaiter car cela les stresse trop. Difficile en effet, quand on donne le sein, de savoir la quantité de lait prise par le bébé.
Pour certaines femmes, malgré toutes les explications sur l’allaitement et le fait que la courbe de poids ascendante est le signe que tout va bien, le stress persiste. Pour rassurer certaines patientes, et aussi, dans certains cas, pour nous rassurer nous aussi, on demande souvent au début à peser le bébé avant et après chaque tétée.

Les valises

La sonnette d’urgence retentit. Je vais ouvrir et me trouve face à une femme pliée en deux. Elle est accompagnée d’un homme qui porte des valises. Elle souffle bruyamment et m’explique avoir envie de pousser.

Sans attendre, je cours chercher un fauteuil roulant et la conduis rapidement dans une salle d’accouchement. J’aide la patiente à s’allonger sur la table, enfile un doigtier et l’examine aussitôt… Elle est à dilatation complète et on voit déjà les cheveux du bébé.

Branle-bas de combat. L’auxiliaire de puériculture pose un capteur sur le ventre pour écouter le bébé. J’ai juste le temps d’enfiler une paire de gants. En dix secondes le bébé est là.

Je le dépose sur sa maman et je me tourne alors vers l’homme livide, tétanisé, qui est resté au fond de la salle, serrant fermement les poignées des valises qu’il n’a toujours pas lâchées.

Je m’approche de lui, le félicite et lui dis doucement que tout va bien et qu’il peut s’approcher pour voir son bébé et embrasser sa femme.

D’une voix à peine audible, il me répond : « Mais moi, je suis juste le chauffeur de taxi ! »

Depuis le début de grossesse elle vivait dans une terrible angoisse et avait toutes les peines du monde à trouver le sommeil et la paix.
Son problème était le suivant : elle avait eu un amant de couleur noir. Or son mari et elle étaient blancs. Et elle ignorait qui était le père ! Bien entendu, son mari n’était pas au courant de son infidélité. La pauvre femme vivait un enfer. Elle imaginait déjà le drame si son bébé naissait métis !
Nous n’étions que deux ou trois à être dans la confidence. Quand le jour de l’accouchement est arrivé, j’étais de garde et me suis occupée d’elle. J’ai fait tout mon possible pour la soutenir sans que son mari ne s’aperçoive de quoi que ce soit. Lorsque le petit bébé est né, tout le monde dans la salle retenait son souffle. Sa petite frimousse ne nous a pas laissés longtemps dans le doute C’était le portrait craché de son mari. Voyant cela, la maman a éclaté en sanglots et nous a embrassés, ivre de joie.

Au moment du toucher vaginal, quand on fait le tour du petit crâne, on tombe sur des petits doigts qui quelquefois vous attrapent les vôtres ! Si vous avez déjà mis votre doigt dans la main d’un nouveau-né, vous savez avec quelle force il le serre.
C’est émouvant de se dire qu’un enfant qui n’est pas encore né vous serre déjà la main.

Un jour, je rentre dans une salle d’accouchement pour demander un instrument à une collègue. Sa patiente est installée devant elle, les pieds dans les étriers, la table « cassée », c’est-à-dire que le bout de la table est enlevé pour l’accouchement. Ma collègue détourne le regard un dixième de seconde pour prendre l’objet en question qui se trouvait juste à ses côtés, et c’est ce moment-là que le bébé a choisi pour sortir ! En un instant très bref, j’ai vu un bébé qui n’était plus dans le ventre de sa mère et pas encore dans les mains de la sage-femme... La sage-femme a juste eu le temps de relever les yeux et d’attraper le bébé au vol, telle une gardienne de but, avant de le poser délicatement sur le ventre de sa maman.

Finalement, nous sommes aussi de grandes sportives !

L’expulsion, mot peu poétique pour qualifier le temps nécessaire pour la sortie du bébé, peut durer plus d’une demi-heure ou seulement quelques secondes…
Plusieurs fois, nous avons été surpris par des bébés « boulets de canon ».
Les plus rapides sont en général les bébés dont les mamans ont déjà accouché à plusieurs reprises. À partir du troisième généralement, la vitesse de descente du bébé dans le bassin de la mère est imprévisible. On peut examiner une patiente, constater que la tête est encore très haute, ce qui signifie que le bébé n’est pas encore prêt à descendre, et dans la minute qui suit, s’apercevoir que la maman a une envie brutale et irrépressible de pousser et vous propulse le bébé à la vitesse de la lumière…

Une patiente d’origine étrangère portant le nom de Ankull, veut appeler sa fille Kim. Difficile de lui faire comprendre avec des mots simples ce que donne l’association des deux en français...

Tout le monde n’est pas du matin. Certaines personnes se lèvent du pied gauche. Ce matin-là, c’était le cas du gynécologue de garde. Depuis son arrivée, il ne faisait que des remarques désagréables évidemment avec la plus parfaite mauvaise foi. Le personnel soignant et les sages-femmes sont d’ailleurs régulièrement les boucs émissaires de certains médecins. Nous encaissions donc en pensant que les choses allaient finir par se tasser, mais la situation ne s’améliorait pas. Le médecin ne faisait aucun effort.

On a beau côtoyer des corps à moitié nus toute la journée sans s’en émouvoir, tout reste une question de contexte. Certains rapprochements peuvent provoquer des sentiments plus troublants.