Citations de Sophie Loubière (402)
-Elle te manque?
-Pas autant que lorsqu'elle est à côté de moi perdue dans ses pensées.
Antoine plongea un croissant dans son bol/
-Tu devrais l'appeler.
-On n'aura plus rien à se raconter à son retour si je lui téléphone sans cesse.
-Vous les vieux, on dirait que vous avez l'habitude de vous manquer.
C'est le seul moyen qu'on ait trouvé pour continuer à s'aimer.
François connaissait l'irréversible principe d'impertinence pour avoir vu défiler dans son bureau de jeunes stagiaire dissimulant mal l'indifférence avec laquelle ils considéraient leurs tuteurs, convaincus de mieux maîtiriser les outils, confondant efficacité et rapidité, incapables de questionner leurs propres aptitudes, leurs facultés d'implication et d'adaptation. Toute une génération de petits experts , tranchants, plus insupportables que les pontifes d'antan, privés d'un enseignement essentiel : le respect.
- J'ai longtemps cru que j'avais la poisse, gazouilla-t-elle, comme s'il faisait ce temps pourri tous les jours dans ma vie. Et puis j'ai compris que c'était juste ma façon de voir les choses...
La morsure du manque…
Comme Janet avait aimé cet homme ! Comme elle avait soupiré contre les plus intimes recoins de sa peau, adoré les rugosités de sa voix et ses gestes ardents, embrassé le sel de leurs amours, bu leurs rires en cascades sous des draps humides. Comme elle avait aimé cet homme-cauchemar…
A sa maîtresse, le jour de la rentrée, Anna avait résumé le métier de ses parents : maman veillait sur les vivants, et papa veillait sur les morts. Madeline doutait que cette façon de voir les choses corresponde à la réalité. Maman veillait sur des êtres destinés à mourir à plus ou moins court terme.
Nous sommes un peuple de rituels.
Sans eux, nous restons coincés dans l’appréhension, le doute et la peur.
Au début du XXIIe siècle, après le Grand Effondrement de la civilisation fossile, le deuil traumatique des grandes pandémies qui s’ensuivit et la destruction des armes, la fin des croyances religieuses s’était imposée comme une nécessité. N’étaient-elles pas à l’origine des conflits opposant les Hommes aux Hommes depuis le paléolithique ?
Sauver ou périr .
Un jour , l’humanité devra choisir.
Le jour où sa très chère mère perdit la tête, Eloïse acheta un thon. L'oeil bleu, la nageoire ferme, il avait fière allure ; son habit étincelait sur une banquise de glace pilée. On avait planté une étiquette indiquant son prix au kilo dans un faux bouquet de persil vert de jade. A côté, les tourteaux crachaient des bulles jalouses et les maquereaux faisaient grise mine.
Ses disques, Nora Blur les avait abandonnés à la femme du droguiste de la ville d'Afton. Elle n'avait rien emporté à Chicago sinon son désespoir. Elle en emprégnait l'appartement, tirant les rideaux aux fenêtres comme l'on recouvre d'un voile un miroir, renonçant à contempler le vivant.
Il portait en lui toute la misère du monde, Al, plaida-t-elle. C’est la misère qui lui déchiré le cœur.
Le bonheur est dans la désobéissance, Lola.
Il regarde le cercueil de sa mère porté par six hommes gantés. Il regarde cela, il sait qu'il va mourir à l'issue de la cérémonie. Sa femme l'en a informé avec un sourire tendre, voilà quatre jours, tandis qu'elle enfournait une seringue pleine de bon jus de fruits dans le tuyau relié à l'estomac de son cher époux.
Qui pour entendre ce que la Terre murmure, ce qui se dit dans les profondeurs des océans ? Tête baissée sur leur smartphone, à la verticale de leur nombril, beaucoup de gens oubliaient qu'ils pouvaient encore agir. Nos ancêtres pour la plupart, étaient les témoins aveugles de leur propre déchéance.
Ce soir, il n’en finissait pas de tomber.
Une lettre avait suffi. Pris par son boulot, il n’avait pas relevé le courrier ces dernières quarante-huit heures. L’avis de retrait de Rachel attendait dans la boîte.
Il y était préparé. Elle aussi. Ils connaissaient le protocole. La Gouvernance territoriale leur avait fourni une brochure indiquant les étapes indispensables qui permettaient à un couple de vivre sereinement le départ d’une Retirée. Depuis un an, ils se rendaient aux séances collectives de mise en condition, apportaient quelque chose à partager, une bouteille de cidre ou un cake maison. Ils travaillaient sur leurs émotions afin d’associer l’événement à une perspective positive. S’endurcir psychologiquement. La manière dont il convenait d’annoncer le retrait d’une maman à ses enfants était aussi largement abordée.
Les garçons ont l'art de se murer dans le silence quand la maison brûle.
Sans ostentation, un contact physique permanent s’était instauré. Plus que le besoin de se rassurer, il s’agissait de dire à l’autre qu’on existait et que vivre commencerait toujours maintenant.
Ce gamin était comme un flocon de neige bravant l'obscurité, le trouble grisant de la jeunesse. François pouvait ressentir sa chaleur et s'y égarer, partager avec lui le peu qu'il possédait encore: un passé secret, des gestes...
Elle l'embrassa avec cette réserve particulière qui lui donnait l'allure d'une châtelaine dont on aurait oublié de construire le donjon, une femme si belle qu'elle était capable de laideur, la contradiction inversant l'arc de ses lèvres comme le reflet de la lune s'accroche à la surface d'un étang.
- Papa, hier soir, j’ai vu maman.
Tournant le dos à la fenêtre, immobile devant son assiette, la cousine de Gérard souriait. Les regards convergèrent sur la fillette aux cheveux épais, coupés court au niveau de la nuque. Une frange sombre s’arrêtait aux sourcils, et dessous brillaient des yeux émeraude.
- Elle est venue dans ma chambre et s’est assise sur le lit.
Gérard suspendit son geste. Une brise souleva les rideaux, fichant le frisson à la tablée. L’oncle tapota sa moustache de la pointe d’une serviette.
« Je suis petite et, déjà, un produit sans grand avenir »