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Citation de Charybde2


Je tente de déchiffrer les visages des autres personnes présentes dans la pièce. D’un côté, le personnel du bar, deux hommes et une femme. Les deux types se ressemblent énormément. Même coupe de barbe, mêmes lunettes en nickel, mêmes bretelles sur la même chemise noire, comme si c’était leur uniforme de boulot. La barmaid porte elle aussi ces bretelles ridicules par-dessus son chemisier cintré ; cependant, son visage est particulier – à la regarder, on se dit qu’elle pourrait tout aussi bien travailler dans un troquet trois rues plus loin. Cheveux noués en une tresse stricte. Traits reflétant le genre de vie de ceux qui ne veulent faire partie de rien. Elle connaît peut-être plus de jurons qu’un métallo écossais. Avec ses sourcils relevés qu’elle refuse de baisser, elle dégage une ironie, une assurance et une nonchalance hallucinantes. Elle indique clairement que cette situation ne lui plaît pas, mais qu’au fond elle se contrefiche de ce qui se passe.
J’en prends note mentalement pour plus tard.
Au cas où il faudrait savoir à un moment ou à un autre sur qui on peut compter ou pas. En général, je me fie à cent pour cent aux gens comme elle, à ceux qui ne sont pas dans la norme.
La plupart des clients qui se retrouvent pris en otage avec nous ont l’air d’être des touristes qui avaient emmené à tout hasard des vêtements plutôt chics pour passer une soirée dans un établissement de ce type ; ils ont peut-être assisté juste avant à une horrible comédie musicale. Seules quatre personnes tranchent nettement sur les autres. Parce qu’elles sont différentes, qu’elles se distinguent de la classe moyenne habillée moyennement : deux hommes sont vêtus de costumes sombres visiblement très coûteux et de chemises à la coupe étroite et au col un tout petit peu trop ouvert. Le ventre de l’un d’eux a tendance à sortir, mais son propriétaire le rentre sans arrêt. Ils sont en compagnie de deux femmes au look très étudié, avec petite robe noire et talons d’une hauteur vertigineuse. Je dirais que ces deux hommes sont là pour le business : les femmes aussi, mais leur business, ce sont ces deux hommes.
Je n’éprouve aucune sympathie particulière pour ces femmes, mais encore moins pour ces hommes. Parce que, manifestement, ils estiment que s’acheter des femmes est une bonne idée. Que c’est légitime et qu’ils le font uniquement parce qu’ils peuvent se le permettre.
Mais je suis peut-être injuste, comme souvent quand j’ai envie de mettre le feu au capitalisme. Il s’agit peut-être tout simplement de deux couples fortunés qui ont oublié que le très onéreux peut aussi être de très mauvais goût. À la réflexion, je me dis que c’est plutôt ma première interprétation qui est la bonne.
En tout cas, quelles que soient mes sympathies pour tel ou tel, tous les visages dans ce bar arborent la même expression, y compris ceux des preneurs d’otages : celle d’une voiture qui serait tombée dans l’Elbe. Nous savons que notre situation n’a rien de normal, que notre vie vient de prendre un sacré tournant et qu’après cet épisode plus rien ne sera comme avant. Il se peut que nous mourions tous cette nuit, demain matin ou dans deux jours.
Chaque visage affiche de légères variations concernant ce savoir, n’empêche qu’il nous lie.
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