Sandrine Lucchini

C’est pas parce que tu te sens merdeux que tu dois chier dans les bottes des autres ! C’est vulgaire, je sais, mais ça a le mérite d’être clair !

Nous avons tous une vérité dissimulée, qui s’exprime par des mensonges… Je ne pense pas que vous fassiez exception, c’est la nature humaine, voilà tout.

La commissaire Leroy et le lieutenant Lebon poussent la lourde porte qui conduit à la salle des autopsies de l’institut médico-légal de la Timone. Une lumière crue se réfléchit sur la faïence blanche qui carrelle l’immense pièce. Ici, c’est l’antre de la mort. Pas une once de vie, hormis l’équipe hospitalière au teint blafard.
— La mort finit par être contagieuse, murmure la commissaire.

Une surprise ? Pas tout à fait. Elle sait déjà qu’il l’emmène naviguer au large de Bonifacio. Alors, quel peut être ce formidable cadeau entouré de tant de mystères ? Une demande en mariage ? Un enfant ? Ses pensées vagabondent. Sa petite voix intérieure lui dit que c’est une journée particulière. Pas forcément en lien avec son anniversaire, mais ce matin, en quittant Marseille, elle a eu l’intuition que sa vie allait changer à tout jamais. Elle sourit. Son désir de le retrouver se fait plus pressant. Elle sent déjà sa présence.

Car qui ne choisit pas se fige ! Choisir ne crée pas une perte. Choisir crée le mouvement. Je suis ton mouvement. Je suis là pour t’affranchir de tes peurs. Les dépasser pour permettre à ton cœur de s’ouvrir enfin.

On dit qu’un cœur qui bat accélère le temps. Aujourd’hui, le moment est venu que tu saches qu’il y a cinq ans, j’ai pris une vie. Celle d’Anton. Celui que tu croyais aimer. Je l’ai fait pour t’aider à grandir, à faire tes choix. Car qui ne choisit pas se fige ! Choisir ne crée pas une perte. Choisir crée le mouvement. Je suis ton mouvement. Je suis là pour t’affranchir de tes peurs. Les dépasser pour permettre à ton cœur de s’ouvrir enfin.

Claire, j’ai choisi avec soin ce carnet sur lequel est gravée en lettres d’or une citation de saint Augustin : « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède. » Elle te correspond. Et pour toi je veux le meilleur. Tu es mon inspiratrice. Celle qui illumine ma vie. Alors en attendant de nous retrouver, j’ai créé notre univers. Une pièce éclairée à la bougie. Mon ombre qui ondule sous la lumière de sa flamme, c’est toi, en face de moi. Une rencontre sensuelle, un jeu érotique chargé du désir de l’autre.

Un geste est parfois plus efficace qu’une parole, songe-t-elle, sincèrement désolée.

On ne bazarde pas trente ans d’habitude du jour au lendemain à cause d’une loi antitabac à la con, et elle n’a pas trouvé de meilleure solution pour tenir le coup les soirs d’antenne.

C’est un véritable rituel. Un moment presque sacré, tant les mots la passionnent. C’est idiot, elle le sait, mais elle aime s’imaginer que chaque enveloppe recèle un trésor. Celui de la vie dans ce qu’elle a de plus merveilleux, et de plus terrible. Parce qu’une lettre est annonciatrice de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Et même si elle n’en connaîtra jamais le contenu, dans le creux de sa main, chaque enveloppe prend des allures de roman.

Souffrir du manque de l’autre parce qu’on l’a perdu. Parce qu’on se convainc que si c’est arrivé une fois, pourquoi pas deux ? Cinq ans à mettre en place une stratégie de défense pour ne plus aimer, par peur d’avoir à nouveau mal à en crever. Il faut croire que la vie, après le pire, réserve toujours le meilleur. Pour cela, il faut avoir foi en elle, se surprend-elle à penser. Xavier lui a permis de retrouver cette force vitale que seul l’amour insuffle. Il a su réchauffer son cœur et réveiller son corps qui n’éprouvait plus rien sous les mains d’amants de passage.

Claire aime quand il pose les yeux sur elle, comme il est en train de le faire. Elle se dit que plus rien ne peut lui arriver. Lovée dans ses bras, elle s’imprègne de sa fougue, de sa force. Jamais elle n’aurait imaginé le retrouver ici. Elle le croyait parti en mission. Sa voix chaude dans le creux de son oreille la pénètre.