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Citations de Michel Agier (30)


Les visiteurs d'un jour vont repartir, en voiture ou en camping-car, vers leur grand ensemble et leur banlieue, certains d'entre eux rêvant d'un pavillon qui les préserverait à la fois de l'anonymat et des voisinages envahissants (les fuites d'eau du dessus, le téléviseur du voisin, les portes qui claquent).
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Le renvoi des populations du Sud « chez elles », propre aux actuelles politiques sécuritaires européennes, utilise le même argument identitaire du retour « chez soi ». Pourtant, très souvent, les êtres en exil, au moment même où les organisations internationales, ou bien les États, prévoient celui-ci, ont déjà fait l’expérience d’un nouvel emplacement dans les zones urbaines ou sur les sites humanitaires où ils se sont retrouvés d’abord confinés malgré eux, et dont ils ont dû s’accommoder durant plusieurs années. Cette constatation est plus importante encore dans le cas de la « seconde génération » de réfugiés, c’est-à-dire ceux qui sont nés dans les camps ou qui y sont arrivés enfants.
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La question des sans-État n’est pas nouvelle [...] mais aujourd’hui elle refait surface d’une autre manière : en tant que variante de la conception biopolitique de la gestion de la vie, elle se transforme en un problème d’encombrement urbain, c’est-à-dire d’ordre public. En ne parlant que de circulations et de flux, de gestion des entrants ou de contrôle des encombrants, on ne dépolitise pas uniquement la question des sans-État, on la déshumanise. Ceci étant conséquence de cela, car la technique des cartes, des grands nombres et des flux contribue à désubjectiver les catégories de population gérées par le dispositif selon un principe biopolitique.
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Faire exister "l'étranger" dans nos esprits et dans les politiques xénophobes est le seul résultat, et la seule vérification empirique d'une "identité nationale" improbable. Cette politique de l'identité prend la forme caricaturale de l'inventaire de traits ethno-nationaux comme aux temps les plus reculés de l'ethnologie folkloriste. Et le contrôle de la conformité à ce "kit identitaire" national, enfermé et appauvri sur le plan culturel, est l'instrument de la politique de rejet de "l'étranger".
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Le constat est évident : partout, les catégories légales de « réfugiés » cèdent progressivement la place aux « déboutés » de toutes sortes. Or ce sont ou ce pourraient être les mêmes personnes. Elles deviennent des sans-État, sans le moindre recours et... illégales. Sur le curseur de la biopolitique, elles s’éloignent du « faire vivre » et s’approchent du « laisser mourir ».
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Dans le mouvement migratoire que nous vivons depuis 2015, c’est dans les villes et au niveau des villes que se pose la question de l’accueil ou du non-accueil. Mais qui est « la ville » ? Est-ce la mairie ? Les habitants ?
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« Les années 1980 et 1990 ont été les années de la découverte sidérée des très grands "déplacements de populations" et des camps africains : foules massives, tout à la fois ethnicisées et dépersonnalisées, marchant le long des routes, recevant au passage des frontières l'attribution collective du statut de réfugié, s'entassant dans d'immenses camps de fortune – lieux de protection en urgence contre la guerre, mais aussi lieux de propagation des épidémies et de nouvelles violences. Dans cette temporalité-là, les solidarités politiques ont cédé la place aux inquiétudes diffuses suscitées par les images de masses en mouvement, africaines et orientales, d'individus en errance, effrayés, d'anonymes "victimes" tout autant perçues comme des surnuméraires indésirables. Les urgences de la gestion biopolitique des masses déplacées ont pris le dessus sur les questionnements existentiels, moraux ou politiques posés par la perte de lieu et la place de l'exilé. » (p. 37-38)
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Signe et condition de cette fiction et de cette toute-puissance de l’humanitaire, l’étrange présence-absence de ses ayants droit. Symboliquement omniprésent mais intellectuellement absent, ce monde à part – le monde, inévitablement ambigu, des « victimes » – est bien parfois exhibé sous des formes outrées : celle du journal de 20 heures montrant fugitivement des images de désespoir ou celle de l’affiche de telle organisation humanitaire avec gros plan sur les yeux suppliants et le corps squelettique d’un enfant noir nu. Mais il n’a aucune place dans les conceptions du monde social que notre propre monde produit. Que dire de ces ayants droit, sinon les plaindre ou les condamner ? Une forme de relégation intellectuelle accompagne la mise à l’écart des populations « victimes » et tout autant indésirables, lesquelles n’apparaissent en général que sous la forme révélée de « l’impensable », de « l’intolérable », de « l’indicible ». Autant de figures extrêmes de la pensée, parfois « scandaleuses », parfois effrayantes, qui provoquent la sidération et confirment ainsi, par une mise en scène émotionnelle, le caractère exceptionnel de leur incursion inattendue dans les images du monde.
[...]
L’émotion (peur, compassion, haine) occupe alors la place de la réflexion, se diffuse sur la page blanche. Et le geste lié à l’émotion (celui du bienfaiteur qui donne ou du volontaire qui décide de partir) est directement relié à l’image de la souffrance qui est une image « révélée » de forme absolue : sans avant et sans après, sans contexte. Émotion, bienfaisance, souffrance, révélation absolue : ces élans de soi vers le monde composent les ressorts les plus puissants de l’élan humanitaire. Le geste moral qui se pense comme une réponse immédiate à la révélation de l’extrême souffrance peut même être assumé par son auteur comme spontané, révolté, non réflexif ! Il se laisse alors le droit d’être tout autant dominateur que donateur. Les figures du héros, du sauveur ont un redoutable revers de médaille dans celles du tout-puissant qui veut « contrôler la situation » et du maître à penser qui dicte les « bonnes » réponses aux ayants droit. Leur geste moral se veut réparateur, mais il construit une victime qui garde l’apparence de la victime absolue, sans nom et sans voix : celle-ci doit savoir se conformer à son image victimaire, recevoir l’argent sans le « détourner », sans le « gaspiller », sans utiliser les aides à d’autres fins que celles conçues par le monde des donateurs (personnes, associations ou pays donateurs), bref sans désordre. La victime doit savoir recevoir en restant à sa place. La même exigence morale se reporte sur les organisations chargées de transférer le don charitable au loin, vers une souffrance généralement maintenue, par le monde riche et do(mi)nateur, dans la modalité du spectacle et de la virtualité qui sont des expressions de la mise à distance.
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C'est à une échelle plus globale que se situe un troisième concept que je souhaite encore évoquer, celui d'ubuntu : issu des langues bantoues et en particulier de la langue Xhosa en Afrique du Sud, ce terme rappelle littéralement le principe de l'indispensable vie commune en même temps que celui de l'identité générique de tout être humain sur la planète ; il s'énonce ainsi "Je suis parce que nous sommes". On sait que Nelson Mandela en a fait grand usage pour appeler à la réconciliation dans un monde post-apartheid. Plus généralement, c'est le principe d'une vie bonne qui doit être autant collective qu'individuelle.
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"Dans l'intime, il y a cette gêne que tout le monde ressent et qu'en tant qu'anthropologue, je ne peux pas ne pas souligner : nos corps entravés doivent composer des mouvements et de torsions pour jouer un ballet étrange où l'on se rapproche tout en s'évitant, où l'on se parle tout en portant des masques (avec lesquels on peut aussi communiquer des messages non-verbaux), où l'on ne s'embrasse plus sauf avec les personnes avec lesquelles on vit, où l'on travaille avec des collègues alignés sur un écran, visibles ou parfois juste audibles. Que cela dure ou non, il en restera quelque chose qui a déjà changé nos sociabilités, qui renforce une certaine rétractation physique et un quant-à-soi individualiste."
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L’image du réfugié s’est profondément modifiée depuis les années 1930 et 1950. Il y a cinquante ou soixante-quinze ans, les dimensions intellectuelles ou politiques de l’exil étaient valorisées et enclenchaient des solidarités fortes et partisanes envers les vagues de réfugiés espagnols, juifs, hongrois, russes, etc., qui trouvaient refuge, certes dans des camps, mais aussi dans des familles ou auprès d’amis politiques ou intellectuels en Europe ou aux États-unis. À l’autre bout de cette trajectoire du réfugié se trouvent les années 1980 et surtout 1990, après la chute du mur de Berlin : ce sont les années des « déplacements de populations », des foules massives et dépersonnalisées marchant le long des routes, balluchon sur la tête et enfant dans le dos, ou entassées dans d’immenses camps de fortune, principalement en Afrique ou en Asie. Ainsi se multiplient les passages de frontières par des hordes anonymes de fuyards déroutés : cette nouvelle situation a justifié l’attribution collective et dans l’urgence – par la procédure dite de 'prima facie' – du statut de réfugié. Dans ce cadre, les solidarités politiques ont progressivement laissé place aux inquiétudes suscitées par ces masses en mouvement, en errance, perçues certes comme des masses de « victimes », mais tout aussi souvent comme des populations surnuméraires et indésirables.
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« L'exil naît lorsque manque une place dans un monde commun – ou que l'on a cru commun d'abord, et cette croyance a rendu le départ pensable. Il est un exil intérieur lorsque ce chemin prend l'apparence d'un dehors dans ce monde même. Il faut une fiction d'extraterritorialité pour que, dans la somme de ces espaces où la vie biologique continue (la vie nue), les histoires individuelles, elles (la vie sociale, la biographie de chacun), soient stoppées. […] Ni ici ni là, les "enfermés dehors" – ceux dont a parlé Michel Foucault, pressés dans les boat people (des camps de réfugiés errant en pleine mer) – sont des mis à l'écart dedans. La "chose" extraterritoriale n'a pas de définition intrinsèque, seule une décision juridique ou rhétorique la fait exister par la parole ou le décret […]
[… par ex. en France] la nouvelle proposition de loi présentée devant le Parlement en septembre 2010 et relative "à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité" (la cinquième en sept ans) prévoit de créer automatiquement la "zone d'attente" en tout lieu, quel qu'il soit (une plage, un sentier de montagne...), où l'étranger indésirable pose le pied sur le sol français afin de le considérer juridiquement en dehors du territoire national. Selon ce principe d'exception, où qu'il aille, le corps de l'étranger s'entoure d'un "lieu" qui se déplace avec lui, hors de tous les lieux. […]
Mettre à l'écart (dehors) et tenir sous contrôle (dedans) : ces deux poussées en sens contraire produisent des vides, des interstices, des situations liminaires, des exceptions et suspensions du temps, comme un ligne de frontière (border line) qui s'élargirait indéfiniment. Ce temps suspendu en régime extraterritorial informe le voyageur qu'il n'y a pas d'arrivée pour lui. » (p. 22-23).
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« […] "l'étranger" est toujours et seulement d'ici. Car chez lui, là-bas, il n'est pas étranger. […] Ici je décide (ou non) de le voir, lui qui est là, selon un présupposé d'égalité entre humains, de l'accueillir, ou alors de le regarder de plus loin, comme "radicalement" étranger, et le tenir à distance voire, s'il insiste, le "reconduire à la frontière"... Mais n'est-ce pas parce qu'il m'est toujours déjà ex-posé, dans un lieu à part, séparé, étrange, emmuré, souillé (un taudis, un camp, un check point, éventuellement mobile marquant la frontière autour de lui, une "jungle", un ghetto) que je le prends de toute évidence pour étranger ? L'espace autre, hétérotopique, est le miroir déformé de l'espace propre, celui-ci engendre celui-là. » (p. 10).
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L'émergence de l'immigration comme enjeu militant en Sicile s'inscrit donc principalement dans des processus locaux de politisation qui ne sont pas liés directement à la cause migratoire. Les dynamiques siciliennes doivent être resituées à l'intersection de trois grands mouvements qui marquent la région et l'Italie des années 1980-1990: le mouvement pacifiste, le mouvement antimafia et le mouvement contre les politiques néolibérales. Les générations pionnières engagées en faveur des étrangers ont d'abord été formées au militantisme dans ces luttes, dont l'intensité et l'enchevêtrement ont créé des réseaux solides
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Le «nous » que j’utilise dans cette réflexion est relationnel, il n’est pas ethnique, racial ou national. Autrement dit, ce peut être n’importe qui du point de vue de l’identité, mais c’est celui ou celle qui est établi quelque part et regarde celles et ceux qui arrivent comme des étrangers (au sens du mot anglais outsiders). Dans ce regard, se jouent la relation et l’identité relative des uns vis-à-vis des autres. C’est ce regard et cette relation que je voudrais maintenant décrire.
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« […] la mise en commun et en circulation de savoirs et de pratiques ainsi que l'action collective permettent de déjouer l'assignation au statut d'obligé que produisent parfois l'hospitalité et les formes compassionnelles de soutien – même si ces attitudes restent à l’œuvre sur le plan individuel. Toutefois, ce type d'action est d'autant plus susceptible de réussir et de se pérenniser quand la position des autorités n'induit pas des confrontations systématiques et violentes. » (p. 145)
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« Les dispositifs de prévention situationnelle dont relèvent ces grilles et ces pierres [placées par la Mairie de Paris pour empêcher les campements des migrants] s'inscrivent dans un même continuum que les caméras de surveillance dans les espaces publics, les vitres de sécurité dans les bus, etc. […] La théorie criminologique qui inspire ces dispositifs se fonde sur l'idée que le délit n'a pas de cause structurelle, mais est plutôt le fruit d'une occasion favorable : on commet un délit parce qu'on peut passer à l'acte sans que cela nous coûte. […] Supprimer l'occasion ce serait supprimer la cause du désordre. L'application de cette technique pour gérer le fait que des milliers de migrants dorment dans la rue pose beaucoup de questions, notamment parce que cette modalité de gestion revient à tenir pour inexistants les facteurs structurels, comme l'absence pure et simple d'hébergement, au-delà des simples raisons de la migration (guerre, dictature, insécurité, absence de perspectives). […] À cet égard, ce qu'il s'agit d'analyser, c'est un processus qui confronte dans un même espace, un même lieu, des deux côtés d'un boulevard, un centre humanitaire qui ouvre la voie du camp [centres de rétention] dans les villes européennes [par application des règlements de Dublin] et le déni institutionnalisé de la réalité même qui justifie ce camp. » (p. 55)
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« La crise des politiques d'accueil que révèle l'été 2015 constitue dès lors un véritable accélérateur pour que les villes, notamment par l'intermédiaire de leurs réseaux (tels qu'Eurocities ou encore le programme Urbact), deviennent des interlocutrices de la Commission européenne […]. Des signes de soutien, notamment financiers, sont adressés par la Commission européenne avec l'octroi de financements spécifiques dans le cadre de l'agenda urbain européen, et l'ajout dans le Fonds européen Asile, Migration et Intégration (Fami – 2015-2020) d'un objectif de soutien aux initiatives pour "l'intégration au niveau local, régional" – et non uniquement national – des réfugiés. » (p. 32)
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« Cette politique européenne "prohibitionniste" – comme tout gouvernement par l'interdit et l'illégalité, à l'exemple des politiques antidrogue ou antiprostitution – a pour effet de construire la mobilité comme un bien monopolisé par des circuits criminels. […] la lutte contre les passeurs justifie des politiques toujours plus restrictives, qui ont pour effets concrets d'entraver les migrants et de gouverner leur mobilité, faisant ainsi prospérer la criminalité organisée. Cette logique est à l’œuvre, par exemple, quand les actions de solidarité envers les migrants en France sont pénalisées et requalifiées d' "aide au passage ou au séjour irrégulier", ou que les actions de sauvetage en mer des ONG sont interdites en Italie au prétexte qu'elles favoriseraient le travail des passeurs. » (p. 13)
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comment l’enjeu de l’accueil refaçonne les liens sociaux, les valeurs et les émotions collectives, et interrogent les définitions pratiques de ce qu’est la citoyenneté prise dans un jeu de frontières
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