Citations de Martine Desjardins (143)
J'ai ensuite passé et repassé la lame de bronze sur son dos et ses reins, j'ai épousé les contours de son ventre et de ses flancs, je me suis faufilé sous ses aisselles, je me suis attardé autour de sa poitrine. Le strigile m'accordait des libertés que mes mains ne se seraient jamais permises et j'en profitais sous prétexte de ne perdre aucune goutte de ce sébum sacré. J'étais le pressoir mystique récoltant l'essence même d'une femme - essence qu'elle m'offrait avec tout l'abandon d'une maîtresse.
(7- OLEATUM PANDAEMONIUM, p.146-147)
J’avais parlé trop vite. Car des profondeurs du sépulcre me répondit presque aussitôt une voix qui me glaça les sangs tant sa manifestation était soudaine et inattendue. Comment vous décrirais-je cette voix ? Elle était susurrante, suspicieuse, avec des inflexions sinistres qui me firent l’associer à un sifflement de serpent.
(1- STIGMA DIABOLICUM, p.22)
La perle s’enflamma par simple friction et se mit aussitôt à crachoter une fumée alanguissante, opaque et presque visqueuse, qui restait au sol comme un brouillard d’automne au lieu de s’élever dans les airs. Ses volutes noires s’immisçaient dans mes fosses nasales avec une vibration tellurique qui me chatouillait jusqu’au tréfonds des oreilles. Mon sens de l’équilibre s’en trouva affecté et je ressentis un vertige exquis que, dans mon égarement, je ne pensais qu’à prolonger.
(4- INCENSUM NEFARIUM, p.87-88)
Toute ma vie je n’avais songé qu’à posséder ; or, pour la première fois, je voulais me donner tout entier. Oui, me donner au tapis du paradis ! Cette vénération était si forte que je me sentais tomber dans l’idolâtrie. Ne pouvant plus contenir mon adoration, je me prosternai devant lui, en extase.
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.123)
En fait, la ville recelait tant de jardins et de vignes qu’elle avait acquis le titre de Cité du vin et des roses – des douceurs abondamment célébrées par les poètes Hafez et Saadi, tous deux originaires de Chiraz.
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.120)
Comment en étais-je venu à mépriser ce que j’admirais tant quelques heures auparavant ? J’imagine que la valeur que nous attachons à un objet s’établit par comparaison, et que l’arrivée d’une curiosité encore plus rare suffit à le déprécier à nos yeux irrémédiablement.
(5- OCULUS MALIGNUS, p.102)
À vrai dire on ne se douterait jamais que les méduses sont venimeuses. Tu vois, même la beauté la plus fragile peut être monstrueuse.
(Alto, p.122)
« Qu’est-ce qu’un tapis persan sinon un succédané de jardin en format réduit et artificiel ? dit-elle d’un ton un peu méprisant. Nul ne peut apprécier les beautés du premier sans comprendre l’art du second.
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.121)
« Autrefois, dit-il en me servant un verre de thé aux pétales de roses, du temps où Chiraz était la capitale de la Perse, les plus beaux tapis tissés dans les montagnes environnantes n’étaient pas pour les yeux des étrangers. Ils étaient réservés à l’usage exclusif du shah. Tous ont été emportés à Téhéran lorsque la cour y a déménagé, à l’exception d’un seul, qui est aujourd’hui propriété de notre gouverneur. On l’appelle Eram : le tapis du paradis. »
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.119)
Avais-je atteint le sous-sol de l’enfer ? Je ne m’en préoccupais même pas, trop fasciné par les complexités de cette architecture souterraine qui m’inspirait cent projets et mille plans. Je me voyais déjà le grand bâtisseur d’une ville enfouie où les hommes ramperaient parmi les taupes, les vers et les fourmis.
(4- INCENSUM NEFARIUM, p.88)
Nous vîmes beaucoup de femmes dans les champs. Coiffées de hauts chapeau pointus et vêtues de jupes indigo très courtes qui dévoilaient leurs jambes teintes en jaune, elles plantaient du millet pendant que les hommes se la coulaient douce, affalés sur le pas des maisons, tuant les heures à mâcher les feuilles d’un arbuste qu’ils appellent qat. Si, tel qu’ils le prétendent, ces feuilles ont des propriétés stimulantes, je n’en vis certainement pas les effets sur ces fainéants.
(4- INCENSUM NEFARIUM, p.84)
En enlevant mes vêtements, je constatai que ma peau était couverte de marques rouges partout où le fouet l’avait léchée. Je ne m’en inquiétai pas et m’enduisis généreusement de pommade avant d’aller me coucher. Le lendemain, à mon réveil, les marques ne s’étaient pas estompées. Elles étaient devenues au contraire plus foncées, presque cramoisies. Elles ne sont jamais disparues. Elles ont peint la honte sur mon visage à l’encre indélébile.
(2- FLAGELLUM FASCINORUM, p.53)
À l'œil qui recherche naturellement la symétrie et l'harmonie des formes, les malformations de ces filles étaient effroyables. Or la directrice avait jugé que mes Dégoûtanteries étaient encore pires. Dans ce cas, elles devaient être d'une répugnantitude à briser les miroirs.
— Je ne connais pas meilleur usage aux dollars que l’accumulation.
"Votre méprise n'a rien d'étonnant. L'huile d'olive, après tout, jouit d'un statut privilégié dans les églises. Mais il existe une huile qui est mille fois plus digne d'être considérée comme sacrée, car elle n'est d'origine ni végétale, ni animale, ni minérale. C'est celle-là que je fais brûler."
Cette remarque a aiguisé mon désir d'en acquérir à tout prix.
(7- OLEATUM PANDAEMONIUM, p.144)
Ces aiguillons devaient avoir un pouvoir urticant, car dès que j’eus pris congé de la jeune femme, mes mains se mirent à enfler et furent bientôt si tuméfiées que j’y sentais battre mon pouls. Quand j’eus regagné ma chambre, je courus les faire tremper. Mais je n’éprouvai que des sensations dégoûtantes. […] J’attribuai ces hallucinations tactiles à l’œdème affectant mes mains […] l’inflammation se résorberait. Or, l’hypersensibilité ne faisait que s’aggraver […]. C’était comme si quelque sculpteur infernal s’était amusé à gouger des horreurs végétales à la surface du monde entier.
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.129)
Le révérend Baxter était accompagné d’une jeune femme qu’il me présenta comme son assistante et qui avait elle-même l’air d’un rosier tant il y avait de fleurs piquées en couronne autour de sa tête. Ses cheveux avaient d’ailleurs la couleur du bois de rose et lui tombaient jusqu’au bas du dos – pas en boucles souples et soyeuses, toutefois, mais en broussailles rêches, enchevêtrées, hirsutes ! On aurait dit une forêt de ronces gardant le château d’une belle endormie, prête à retenir dans ses rets toute main qui s’y serait égarée. Cette coiffure donnait à la dame un air revêche, qui n’était en rien adouci par un défaut qu’elle avait à la lèvre supérieure, une sorte de cicatrice en forme de dard.
(6- CORONA SUPPLICIORUM, p.121)
Avant ce moment, je n’avais pas pleinement mesuré mon espoir d’atteindre un jour les villes verticales du désert. Et voilà que je commençais à imaginer les conséquences que leur découverte aurait sur ma propre vie. Je me voyais rentrer au pays couronné de gloire, devenir le maître d’œuvre des plus imposants édifices jamais érigés, et inscrire mon nom en lettres d’or dans le grand livre de l’architecture.
(4- INCENSUM NEFARIUM, p.85)
Quelques jours après avoir quitté Lalibela, j’ai remarqué que je mangeais avec plus d’appétit que de coutume. En un seul repas, je pouvais avaler toute une marmite de ragoût de lentilles et une pile d’injera, ces grandes galettes de pain azyme qui font aussi fonction d’ustensiles en Ethiopie. Ce n’était cependant pas suffisant pour me rassasier car, une heure plus tard, j’étais à nouveau pris de fringale.
(3- LARVAE INFERNALES, p.67)
Fuyez, mon père. Elle a déjà commencé à transformer votre église en pandémonium de l’Enfer.
(7- OLEATUM PANDAEMONIUM, p.149)