Pourquoi lire Pagnol ?
« Tu me fends le cœur ! » Qui donc n'a jamais entendu cette réplique de César au cours d'une fameuse partie de cartes ? C'est d'abord pour ses films que Marcel Pagnol est connu. Pourtant, avant ses succès cinématographiques, qui lui valurent un César d'honneur posthume pour l'ensemble de sa carrière, Marcel Pagnol écrivit d'abord quelques poèmes dans sa jeunesse, qu'il publia dans la revue littéraire qu'il avait fondée. Puis il devint professeur et, dans le même temps, auteur dramatique. Éloigné par son travail de son Sud natal, c'est dans l'amour pour sa région qu'il puisa l'inspiration de ses pièces les plus célèbres comme
Topaze et
Marius. Marcel Pagnol était un extraordinaire créateur de caractères, et affirmait d'ailleurs : « Si j'avais été peintre, je n'aurais fait que des portraits. » Topaze, naïf floué devenu malhonnête pour le meilleur, est un parfait exemple de ce talent pour camper des personnages incarnant des types sans perdre de leur vie.
À l'opposé de
Feydeau, chez qui chaque scène est un pas nécessaire dans l'avancée de la trame narrative, Pagnol prend le temps d'installer ses personnages dans un cercle familial, dans un cadre amical et professionnel, au cours de scènes qui ne font pas progresser l'intrigue. Pourtant, ce sont souvent celles que les spectateurs retiennent, tant les dialogues en sont ciselés et révélateurs de la personnalité des protagonistes.
Curieux de tout, Marcel Pagnol se révéla profondément moderne en saisissant la chance que lui offrit la Paramount d'écrire pour le cinéma, qui représentait une opportunité d'élargir le retentissement de ses œuvres. De ce nouveau moyen d'expression, il fit le centre de ses activités, d'abord comme auteur puis réalisateur et producteur. Proche des comédiens et des techniciens, il tenait à l'ambiance familiale et joyeuse des plateaux de tournage, jouant à la pétanque entre deux scènes, mais aussi allant jusqu'à acheter un domaine et se convertir en cultivateur d'œillets pour sauver ses employés du STO.
À la fois créateur et théoricien, Marcel Pagnol fonda
Les Cahiers du film, une revue qui lui permettait d'exprimer sa conception du cinéma à une époque où le septième art connaissait une expansion phénoménale. Néanmoins, il finit par abandonner cette carrière dès que les nouvelles contraintes de ce média bridèrent sa liberté créatrice. Il revint alors au théâtre pour quelques pièces dont un
Judas osé et novateur. Mais il renonça finalement aussi bien aux planches qu'aux caméras.
« Quand je revois la longue série de personnages que j'ai joués dans ma vie, je me demande qui je suis… » disait Marcel Pagnol ; or c'est en écrivant ses souvenirs personnels qu'il révéla toute l'ampleur de son talent. Les
Souvenirs d'enfance, empreints de tendresse pour sa famille et pour les paysages de la campagne aubagnaise, mirent en lumière ses talents de conteur, son goût pour les descriptions malicieuses, son style savoureux et imagé.
Figure emblématique du Sud, mais pas seulement, Marcel Pagnol a prouvé que l'attachement à ses racines n'empêchait pas de toucher le plus grand nombre. Il est aujourd'hui un auteur incontournable, souvent étudié dans les écoles, dont plus de cent cinquante en France portent son nom.
Le saviez-vous ?
• Marcel Pagnol écrivait toujours deux œuvres à la fois. Par exemple,
Topaze et
Marius ont été rédigés en même temps.
• En cherchant un lieu propice à la création d'une « Cité du cinéma », il achète en 1941 le château de la Buzine, sans l'avoir visité. Il découvre ensuite avec stupeur qu'il s'agit du « château de l'effroi », un lieu marquant de son enfance évoqué dans
Le Château de ma mère.
• Contraint par la guerre à vendre ses studios à la Gaumont, Marcel Pagnol évite le STO à tous ses techniciens en les embauchant au domaine de l'Étoile, à La Gaude, pour se lancer dans « la culture intensive d'œillets ». Ce qui fait dire à Raimu : « Si Marcel devient fleuriste, alors moi, je n'ai plus qu'à aller vendre des rascasses ! »
• Passionné de sciences, il inventa des machines comme des pompes à eau et déposa le brevet d'un « boulon indéboulonnable ». Il conçut aussi une voiture, « la Topazette ».
• En plus de la pétanque, loisir cher à son Sud natal, Marcel Pagnol excellait au bilboquet.
Chronologie
28 février 1895 : Marcel Pagnol naît à Aubagne, fils de Joseph Pagnol, instituteur public, et Pauline Henriette Lansot dite Augustine, couturière.
1897 : la famille s'installe à Marseille.
Avril 1898 : naissance de Paul Maurice dit « Petit Paul », frère de Marcel.
Février 1902 : naissance de Germaine, sœur de Marcel.
1904 : premières vacances à la Bastide Neuve dans les collines de la Treille.
1909 : naissance de René, le dernier de la fratrie Pagnol.
1910 : décès d'Augustine. Marcel Pagnol commence à écrire des poèmes.
1914 : fondation de la revue littéraire
Fortunio avec des camarades.
1916 : Mariage de Marcel avec
Simone Colin à Marseille.
1921 : parution de
La petite fille aux yeux sombres, premier roman de Marcel Pagnol.
1922 : Marcel Pagnol est nommé répétiteur d'anglais au lycée Condorcet (Paris).
1924 : création de la pièce
Les Marchands de gloire coécrite avec
Paul Nivoix.
1926 : création de la pièce
Jazz.
1928 :
Topaze, satire de l'arrivisme, est montée au Théâtre des Variétés à Paris. C'est un grand succès.
1929 : création de
Marius avec Orane Demazis dans le rôle de Fanny.
1930 : naissance de Jacques Pagnol, fils de Marcel et de Kitty Murphy, jeune danseuse anglaise.
1931 : premier film de Marcel Pagnol,
Marius, réalisé par Alexander Korda, suivi par
Topaze de Louis Garnier et
Fanny de Marc Allégret. Insatisfait, Marcel Pagnol décide que dorénavant il réalisera lui-même.
1932 : mort de Paul, d'une crise d'épilepsie. Parution du roman
Pirouettes.
1933 : naissance de Jean-Pierre, fils de Marcel et d'Orane Demazis.
1934-1940 : Marcel Pagnol réalise plusieurs films par an :
Jofroi,
Angèle,
Merlusse,
Cigalon, une deuxième version de
Topaze,
Regain,
César,
Le Schpountz,
La Femme du boulanger,
La Fille du puisatier.
1936 : naissance de Francine, fille de Marcel et d'Yvonne Pouperon, une de ses collaboratrices.
1941 : divorce d'avec Simone Colin. Acquisition du château de la Buzine en vue d'établir une « Cité du cinéma ».
1945 : Marcel épouse Jacqueline Bouvier, rencontrée en 1938.
1945-1952 : réalisation de
Naïs,
La Belle Meunière, un troisième
Topaze (avec Fernandel),
Manon des sources,
Ugolin.
1946 : naissance de Frédéric, fils de Marcel et Jacqueline.
27 mars 1947 : Marcel Pagnol est élu à l'Académie française, où il occupe le fauteuil 25. Il traduit
Hamlet.
1951 : naissance de sa fille Estelle et mort de son père Joseph. La famille Pagnol s'installe à Monaco.
1954 : décès d'Estelle. Les Pagnol quittent Monaco pour Paris.
1955 : création de la pièce
Judas au Théâtre de Paris.
1956 : création de
Fabien, dernière pièce de Pagnol.
1957 : publication des deux premiers volumes des
Souvenirs d'enfance :
La Gloire de mon Père et
Le Château de ma mère. Ils rencontrent un vif succès.
1959 : parution du troisième volume des
Souvenirs d'enfance :
Le Temps des secrets.
1962 : publication de
Jean de Florette et
Manon des sources.
1964 : parution d'un essai sur
Le Masque de Fer18 avril 1974 : mort de Marcel Pagnol à Paris. Il est enterré à La Treille.
1877 : parution posthume du dernier volume des Souvenirs d'enfance :
Le Temps des amours.
Inspirateurs et héritiers
Adolescent, Marcel Pagnol était surtout féru de poésie et de théâtre classique. Il s'essaya d'ailleurs à ces deux genres, et traduisit les
Bucoliques de
Virgile. Parmi ses auteurs dramatiques fétiches, on peut également citer
Shakespeare, dont il traduisit
Hamlet et
Le songe d'une nuit d'été. Ses débuts au théâtre furent parrainés par
Louis Jouvet. Par ailleurs, il était proche de nombreux auteurs de son temps tels qu'
Albert Cohen, qu'il connut au lycée, mais aussi
Jean Anouilh,
Joseph Kessel,
Marcel Achard,
Maurice Genevoix. Il devint également l'ami de grandes figures du cinéma et de la chanson comme
Jean Cocteau, Raimu,
Tino Rossi.
S'il a marqué son temps, la critique n'a pas toujours été tendre avec lui, lui reprochant d'être un homme d'affaires plus qu'un artiste, car il était devenu son propre producteur puis son propre éditeur. C'est en réalité par curiosité et par goût de la liberté qu'il s'adonnait à ces différentes activités. Il fut reconnu pour son œuvre dramatique lors de sa nomination à l'Académie française, et obtint un César d'honneur posthume en 1981.
Roberto Rossellini et de Sica le considérèrent comme le « père du néo-réalisme », voyant en
Jofroi le premier film de ce courant.
Ils ont dit de Marcel Pagnol…
Jean-Charles Tacchella : « C'est cela la leçon de Pagnol : en sortant d'un de ses films, on était heureux. Parfois même on se croyait meilleur. »
Louis Leprince-Ringuet : « Il s'intéressait aux découvertes scientifiques, et il s'y intéressait comme un poète. »
Jean Dutourd : « Je suis bien sûr qu'au fond Marseille sait très bien ce qu'elle doit à Marcel Pagnol. Il a fait du Marseillais un portrait épique, sublime et admirable. »
Pierre Tchernia : « Il aimait les mots et choisissait avec soin l'expression juste. L'ingénieur du son, un jour, avant de commencer l'interview, s'affaire, court en tous sens et explique : 'C'est dramatique, j'ai égaré mon micro !' Pagnol le reprend : 'Ce n'est pas dramatique, Monsieur, c'est embarrassant.' »
Maurice Druon : « Pagnol est puissamment français, puissamment provençal, puissamment méditerranéen, et c'est cela qu'il avait de particulier à apporter aux autres. On est universel par ce que l'on apporte aux autres. Avec talent, avec génie ; eh bien, il avait les deux. »