Citations de Maggie O’Farrell (497)
Lorsqu'elle part [travailler] le matin, elle sent qu'un fil la relie à son fils et, en s'éloignant dans la rue, elle a conscience qu'il se déroule peu à peu. A la fin de la journée, la bobine est dévidée et [elle] a une envie folle de retrouver [son bébé], elle voudrait que le métro avance à toute allure dans les tunnels, file sur ses rails pour la ramener au plus vite à la maison. Une fois auprès de son enfant, il lui faut un certain temps pour retrouver la bonne longueur de fil entre eux - moins d'un mètre, voilà ce qui lui semble satisfaisant. (p. 297)
Lucrèce croit entendre la voix rauque d’Elisabetta dans le creux de son oreille : vous n’avez pas idée de quoi il est capable.
Il serait possible, pour qui se rapprocherait suffisamment, de voir que ses lèvres bougent, murmurent des sons et émettent de petits claquements à destination des insectes qui l'entourent, se posent sur sa manche, se cognent contre son visage.
Personne n'entre ici sans invitation ; personne ne sort d'ici sans permission. Plus qu'un château, cet édifice est une incarnation du pouvoir, un lieu déjà tout prêt à se défendre.
Elle apprend qu'il est possible de pleurer tout un jour et toute une nuit. Qu'il existe différentes manières de pleurer : des torrents qui brusquement se déversent, des sanglots profonds qui secouent le corps tout entier, des larmes silencieuses qui coulent sans qu'on le veuille, sans s'arrêter.
J’ai passé une grande partie de ma vie près de la mer : si je ne luis rends pas visite régulièrement, si je ne marche pas près d’elle, si je ne m’immerge pas dedans, si je ne respire pas son air, je la sens qui m’attire, je ressens son absence.
La vie réserve parfois d’étranges surprises. Esme ne parle jamais d’heureux concours de circonstances, elle déteste cette expression. Mais il lui arrive de penser qu’il doit y avoir une impulsion quelconque à l’œuvre, des forces contraires qui bousculent la chronologie.
Elle hausse une épaule, une épaule nue, vois-je, légèrement dorée par le soleil, coupée par une fine bretelle blanche. Une mise en action automatique se produit dans les tréfonds de mon sous-vêtement - étrange chose que ce phénomène inexorable, même malgré l'âge, qui témoigne du voile ténu nous séparant de notre moi adolescent -, mais je me concentre de nouveau sur la conversation. Elle ne s'en tirera pas comme ça.
(p. 15)
Car elle suivra cette main, l'accompagnera dans le blanc, la foule, le couloir et plus loin encore. (p231)
-Tu ne sais pas ce qu'il y a écrit là-dedans ? Qu'il suffisait à un homme d'avoir un papier signé par un généraliste pour faire interner sa femme ou sa fille dans un asile d'aliénés.
- Iris...
- Tu te rends compte ? Un bonhomme pouvait se débarrasser d'une épouse dont la tête ne lui revenait plus, d'une fille jugée indocile.
Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités, songe Esme : on nous transmet des traits, des gestes, des habitudes et nous les transmettons à notre tour. Rien ne nous appartient en propre. Nous venons au monde en tant qu'anagrammes de nos ancêtres.
Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités : on nous transmet des traits, des gestes, des habitudes, et nous les transmettons à notre tour. Rien ne nous appartient en propre. Nous venons au monde en tant qu’anagrammes de nos ancêtres.
Vêtues de chemises pâles, elles se déplacent comme des nuages. Difficile de dire s’il s’agit d’hommes ou de femmes car leurs chemises sont lâches et leurs cheveux coupés si courts. Certaines regardent droit devant elles, sans bouger. L’une sanglote dans ses mains. Une autre pousse un cri rauque qui se termine en marmonnement
Avoir frôlé la mort de si près, enfant, et être revenue à la vie m’a insufflé une forme d’inconscience, d’irresponsabilité, voire de folie face au danger. Je sais que l’inverse aurait pu se produire, que j’aurais pu devenir une personne inhibée par la peur, bloquée par le besoin de précaution. Au lieu de ça, je sautais de la digue du port. Je randonnais seule sur des sentiers de montagne perdus. Je prenais des trains-couchettes à travers l’Europe pour débarquer toute seule dans des capitales au beau milieu de la nuit, sans point de chute.
Comment peut-on se sentir seul quand on est sans cesse entourés des gens, voilà qui me dépasse.
- Tu ne sais pas ce qu'il y a écrit là-dedans ? Qu'il suffisait à un homme d'avoir un papier signé par un généraliste pour faire interner sa femme ou sa fille dans un asile d'aliénés.
-Iris...
-Tu te rends compte ? Un bonhomme pouvait se débarrasser d'une épouse dont la tête ne lui revenait plus, d'une fille jugée indocile. " (p. 69)
... tu vas déchirer ta robe, et maman sera en colère, lui ai-je dit, mais elle s'en fichait. Esme ne se souciait jamais de ce genre de chose. Et c'est bien ce qui est arrivé, elle a déchiré sa robe et, quand nous sommes revenues, maman s'est fâchée contre nous deux. Elle m'a dit : tu es responsable, parce qu'on ne peut pas compter sur Esme, et il faudra la confier à Mme MacPherson la prochaine fois. Mme Mac, comme elle préférait qu'on l'appelle, m'avait taillé la robe que je portais ce soir-là, une robe d'une splendeur incroyable, qui avait nécessité trois essayages car, d'après maman, il fallait que tout soit parfait. De l'organdi blanc souligné de grège. J'étais terrifiée à l'idée que le houx déchire le tissu, si bien que c'était Esme qui le tenait en marchant avec précaution sur le sol gelé, parce que nos semelles étaient fines. Sa robe était étrange ; elle ne voulait pas entendre parler d'organdi, elle voulait du rouge, du cramoisi, disait-elle. Du velours. Plantée devant la cheminée, elle a déclaré à Mme Mac : je veux une robe en velours cramoisi...
... non, a répondu ma mère, assise sur le canapé. Tu es la petite-fille d'un avocat, pas une entraîneuse de bar. C'était elle qui payait, alors Esme a dû se contenter d'une sorte de taffetas bordeaux. Lie-de-vin, d'après Mme Mac, ce qui, je crois, lui donnait l'impression...
... le vin dans des carafes en cristal taillé sur la table, derrière le canapé. Un cadeau de mariage d'un oncle. Au début, je les aimais bien, mais les épousseter, c'était la croix et la bannière, si vous me pardonnez l'expression. Pour nettoyer les creux, il fallait se servir d'une petite brosse, une vieille brosse à dents assouplie par exemple. J'aurais bien aimé en être débarrassée, qu'on les offre à un membre plus jeune de la famille, disons en cadeau de mariage, elles feraient un bel effet, mais il aimait les voit là. Il buvait un verre au dîner, un seul, deux le samedi soir, et je devais emplir le verre à moitié pour que le vin puisse respirer, comme il disait, et moi, je rétorquais : je n'ai jamais entendu de telles bêtises, le vin ne peut pas respirer, imbécile, le dernier mot tout bas, bien sûr, parce que ça ne se fait pas de...
... et maman disait qu'elle devait lui couper les cheveux, pas plus bas que le menton. Mais, pour Esme, il n'en était pas question. Maman a sorti une jatte du placard de la cuisine, et Esme n'a rien trouvé de mieux à faire que la lui arracher et la jeter par terre. Mes cheveux sont à moi, hurlait-elle, c'est à moi de décider. Bon. Maman était tellement furieuse qu'elle en est restée muette.
Sa mémoire a toujours été défaillante, et c’est là un euphémisme. Des pans entiers de son existence se perdent dans une sorte de brouillard.
Mais chaque fois que nous allions quelque part, une partie de tennis, un thé, un bal, elle faisait toujours quelque chose d'étrange, d'inattendu. Taper sur le piano, parler au chien pendant tout le temps, une fois, grimper à un arbre et rester là à regarder dans le vague et à tortiller ses cheveux rebelles.
Certaines personnes, j'en suis certaine, ont cessé de nous inviter à cause de son comportement. Et je dois dire que j'en ai été très affectée. Maman m'a donné raison.
Quand je pense que tu dois souffrir à cause d'elle, alors que tu te conduis de la manière la plus parfaite qui soit. Ce n'est pas juste. p.138
Je n'arrive pas encore à croire que tu sois parti. Avant, quand je me réveillais, je me demandais l'espace d'une seconde pourquoi j'avais ce poids de chagrin qui m'écrasait la poitrine et pourquoi mon oreiller était mouillé. J'oubliais parce que c'était trop absurde d'être sans toi. Trop absurde.
Mais tu es vraiment mort. Et sans aucune raison.