Ne perds jamais le lien à la musique.
Je fourre la cassette et le walkman dans ma veste.
El Lucho Jefe s'éclaircit la gorge.
- Je vais le dire une fois de...
Je me jette sur lui et le mets à terre. Avant qu'il puisse réagir j'enfonce les dents dans son nez et m'y accroche aussi fort que possible. Il hurle et essaye de me repousser, mais je lui tiens la tête et mords encore plus fort. J'ignore d'où me viennent l'idée et cette férocité. Peut -être que c'est à cause des chansons.
Les autres Luchos tentent maladroitement de nous séparer, pas certains que cela ne fasse pas souffrir El Jefe davantage. Son nez n'est qu'un cartilage en bouillie dans ma bouche, je sens qu'il commence à céder. Lui aussi le sent. Plus de cris. D'insultes. Je continue de mordre. Autour de nous, les Luchos aboient comme des des chiens enragés. Dans un mouvement violent, je tourne la tête. Son nez me reste dans la bouche. Une boule de nerfs grêles et caoutchouteux. Il saigne moins qu'on ne l'imaginerait. Tout s'arrête tandis qu'El Lucho Jefe envoie un hurlement aigu au ciel à vous arracher le coeur. Je recrache le nez.
Je reconnais immédiatement les chansons, mais quelque chose a changé. Les mélodies ont fermenté, tourné. Au lieu de me rappeler le réconfort qu'elles m'apportaient, la musique me renvoie brutalement au temps désespéré où je l'enregistrais. C'est comme si la tristesse de ce jeune garçon avait imprégné les fibres mêmes de la bande magnétique. Je commence à avoir le tournis. J'ai du mal à respirer. A la troisième chanson, je sors de la pièce en courant.
...un papillon se pose sur mon coude, des ailes violettes figées sur un corps tressaillant. Il semble englué dans la bouillie collante, Ses minuscules pattes comme des pistons frénétiques. Je sens quasiment son coeur hurler.
Elle imaginait des punitions qui laissaient des marques avec les plaques de cuisson, les radiateurs d'appoint et les fers à friser. Mais cela ne diminuait pas la douleur que je ressentais quand elle m'abandonnait.
Mes plantes de pied sont perpétuellement trempées. Ma peau, d'une couleur spectrale, devient si molle que je peux en arracher des rubans avec mes ongles. De petites plaques de mousse se mettent à infester les poils emmêlés de mes aisselles. Même mes cassettes commencent à se gonfler d'eau et à produire des champignons. Je n'ai jamais été aussi heureux.
-Quand j’écris, j’essaie toujours de penser face A, confie Shaun. Mais quand j’écoute, je préfère les faces B. C’est là que les groupes cachent leurs secrets.
Ecouter cette musique, c'est être retourné comme un gant et découvrir l'histoire de sa vie écrite sur ses organes internes.
Pourquoi faut-il toujours rendre hommage aux morts, quand ce sont les vivants qui ont besoin de soutien ?
Si la musique ne te donne pas ce dont tu as besoin, elle ne sert à rien.