Dans les familles asiatiques, le silence et les non-dits règnent souvent sur tout le reste. Il est plus important de garder la face que de se confronter à certaines vérités. J'étais spectateur d'une histoire sur laquelle je n'avais aucune prise. Je découvrais mon pays, ma famille, mon père, ses mensonges et ses secrets. C'était déjà beaucoup pour moi. J'étais dans l'incapacité de prendre en charge l'histoire de cet autre enfant abandonné.
Ce soir-là j'ai compris pour la première fois que le plus difficile à vivre quand un proche nous déçoit, ce n'est pas tant qu'il nous fait souffrir, mais plutot qu'on n'a pas d'autres choix que de continuer à l'aimer
« Après tout, on a toujours été heureux sans lui. On n'a pas besoin d'un père. » C'était une manière de nous consoler. Il faudrait nous y faire: nous n'aurions jamais le père dont nous avions rêvé. Nous n'aurions jamais de père tout court, d'ail-leurs. On ne rattrape pas quinze ans d'absence en quelques semaines. On ne peut pas forcer un père à aimer ses enfants.
J'avais avalé les boniments de mon père avec cupidité et vanité. Quand il débitait ces mensonges, j'étais le premier à le croire. Au fond, je les acceptais car ils étaient moins douloureux à vivre que nos rêves d'enfants.
Avant de me rendre à Yogyakarta, toute ma vie je m'étais senti inadapté au rythme français. J'étais un koala à qui on essaye d'apprendre à courir comme Usain Bolt.