En fait, beaucoup d’Allemands, déçus par la défaite de 1918, puis victimes de la crise, se sont sentis abandonnés par le gouvernement Hindenburg. Ils se sont tournés vers le national-socialisme qui leur a fait croire qu’il serait un régime fort, capable de résoudre tous leurs problèmes. Ils sont maintenant à leur merci.
Hans a du mal à maîtriser son émotion. Le cœur serré, les larmes aux yeux, il traverse une ville qui a changé de visage. Il lui semble qu’elle est devenue totalement grise, écorchée par la seule couleur qui émerge comme autant de balafres : le rouge des oriflammes nazis. Le cœur de Hans bat de plus en plus vite. Des images de la librairie saccagée brouillent sa vue.
Hans m'a vendu la Librairie peu de temps avant de mourir. Je l'ai dirigée seul pendant quarante-trois années. Après moi, elle reviendra à Lisbeth. Une femme propriétaire d'une librairie créée par un juif... Le monde évolue bien ! (p. 255)
Seules la culture et la beauté peuvent briser les barrières sociales, n'oubli jamais cela, Hans!
Les embrassades et les voeux de bonheur semblent plus sincères, mais plus hésitants que les autres années. On se serre dans les bras, on se dévisage longuement comme pour ne pas oublier le regard d'un oncle, d'un cousin, d'une tante ou d'une aïeule. (p. 23)
Malgré ces obstacles, il a à coeur de continuer vaille que vaille les traditions de la Librairie. Ce n'est pas uniquement une question d'argent, Hans a la volonté de faire vivre le lieu autant par fidélité à son mentor que pour tenir tête au régime. (p. 82)
Deux jours plus tard, la presse appellera cette nuit du 9 novembre la " nuit de Cristal", Reichskristallnacht. Jusqu'à ce jour, le cristal était pour Hans un verre pur et limpide, donnant un son mélodieux. Il n'ose pas croire que l'épuration de tant de juifs soit associée à la pureté dans l'esprit des nazis ! (p. 121)
Hans a recensé le fonds dans l'espoir de refaire un catalogue. Il manque tant de livres que cela ne lui a pas pris plus de quelques jours. Grâce à cet inventaire, il fait des vitrines différentes toutes les semaines avec des titres un peu oubliés. Plus de commandes, plus de nouveautés, il faut improviser avec ce qu'il y a et tenter d'attirer les clients. Cette activité occupe tout son temps et lui remplit la tête. La littérature chasse l'actualité. Il s'y réfugie, comme enfant il se réfugiait dans les pas de Lygie. Il navigue dans ses souvenirs, de Siddhartha aux Scènes de la vie d'un propre à rien. Hermann Hesse et Joseph von Eichendorff sont ses compagnons, mais aussi Tolstoï, Cervantès et tant d'autres qư'il a côtoyés durant ses heures de lecture.
Comment réagirait Alexander devant ce qu'il reste de sa librairie? "Un livre, dans quelque état qu'il soit, est important pour ce qu'il contient, non pour son apparence. Souviens-t'en, Hans. Un livre est comme un homme, son habit ne compte pas.
S'il cesse de penser, chaque être humain peut agir en barbare.
Hannah Arendt