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4.07/5 (sur 7 notes)

Nationalité : Suisse
Né(e) le : 29/01/1949
Biographie :

Bouda Etemad est professeur aux Universités de Genève et Lausanne. Il y enseigne l’histoire des relations Nord-Sud (XVIe-XXIe siècle). Ses travaux portent pour l’essentiel sur l’expansion coloniale de l’Europe, le coût de constitution des empires (La possession du monde, Complexe, Bruxelles, 2000) et les liens éventuels entre d’une part colonisation et prospérité de l’Europe (De l’utilité des empires, A. Colin, Paris, 2005) et de l’autre, entre colonisation et paupérisation du tiers monde.

Bouda Etemad reçoit sa licence en sciences sociales à l’Université de Genève en 1972. En 1982, il obtient son doctorat ès sciences économiques et sociales (mention histoire économique) en rédigeant une thèse, sous la direction de Paul Bairoch, intitulée : Pétrole et développement. Irak, Iran, Venezuela (1900-1973).
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Source : http://www.unil.ch/
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Bouda Etemad, auteur de “Crimes et réparations. L’Occident face à son passé colonial”, exprime sa position sur les demandes de réparations comme meilleur moyen de redresser les injustices coloniales. À l'heure où la question de la réparation, de la repentance, voire de “l’autoflagellation”, occupe le devant de la scène chez les universitaires comme dans les médias, ce livre donne des réponses en adoptant le point de vue de l'histoire comparative de longue durée. Plus d'informations sur le site de l'éditeur : http://www.andreversailleediteur.com/?livreid=703


Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Ceux qui, dans notre galerie de portraits genevois, s'expriment sur l'esclavage le font en se situant le plus souvent dans les Amériques, plus rarement en Afrique subsaharienne, mais jamais dans le monde arabo-musulman. À l’exception de Dunant, qui, en 1857 dans un chapitre de sa Notice sur la régence de Tunis, traite de l'esclavage en terres d'islam. Quelques années plus tard, en pleine guerre de Sécession aux États-Unis, le chapitre fait l'objet d'une publication augmentée de nombreuses et longues notes en bas de page. C'est un texte fait d'incohérences et d’approximations. Les commentateurs de Dunant signalent son existence, mais s'abstiennent de l'ausculter, peut-être par égard pour le philanthrope genevois. Ils voient bien que Dunant embellit et «idéalise», mais ils l'exonèrent de ses errements. L'un reconnaît que «par endroits, on le jugera naïf, mais n'est-ce pas là, souvent, ce qui fait la valeur des témoignages ? Pèche-t-il par excès de bienveillance : Quel agréable défaut !» Dunant est absout de ses travers, parce qu’il écrit en tant qu «ami, (...) tombé sous le charme de l'Orient». «Le cœur a ses raisons !» renchérit un autre commentateur.

C’est donc pétri de bonnes intentions que Dunant s'attache à démontrer que l'esclavage dans le monde musulman est plus clément …
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Jean-Jacques Rousseau et Jean-François Butini figurent parmi les premiers Genevois à écrire sur l'esclavage et la colonisation.

Ils le font à distance, sans y être impliqués, si ce n’est intellectuellement. Pour trouver des Genevois du XVIIIe siècle qui y seraient engagés et éventuellement en rendraient compte, il faut se tourner vers des propriétaires de plantations américaines.

De ces propriétaires, la «République de Calvin» en abrite un certain nombre. Même s'ils n’en font aucune mention dans leurs écrits, Rousseau et Butini devaient s'en douter. Celui-ci, car c’est un lettré curieux et un notable bien informé, celui-là parce qu'il dispose à Neuchâtel d'un défenseur indéfectible en la personne du richissime Pierre-Alexandre DuPeyrou, propriétaire de vastes plantations en Guyane néerlandaise (Surinam). DuPeyrou puisera dans sa colossale fortune, constituée en partie par les revenus de ses « habitations », pour financer la publication des premières œuvres complètes de Rousseau, sorties de presse à Genève au début des années 1780. Rousseau ne peut ignorer que son ami et protecteur neuchâtelois, affublé du sobriquet de «Monsieur de Surinam», exploite des esclaves dans la lointaine colonie hollandaise.
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Placé jusque-là à l'arrière-plan, Étienne Clavière gagne ici le devant de la scène dans le rôle de défenseur de la cause abolitionniste. À ce titre, son premier acte est la fondation, avec Jacques-Pierre Brissot, de la SAN, créée à Paris le 19 février 1788. Celle-ci est formée sur le modèle des associations abolitionnistes instaurées entre 1775 et 1787 d'abord dans certaines des Treize Colonies d'Amérique du Nord (noyau des futurs États-Unis) puis en Angleterre. Les fondateurs de la SAN ne cachent pas leur dette idéologique à l'égard des pionniers anglais de l'anti-esclavagisme (Thomas Clarkson et William Wilberforce), qu'ils reconnaissent comme leurs mentors et avec lesquels ils entretiennent ouvertement des contacts.

Les attaches anglo-saxonnes de la SAN, sa référence à un modèle étranger et l'admission en son sein de membres originaires de l'Angleterre et de l'Amérique du Nord protestante, ainsi que de la Genève calviniste, constituent une de ses singularités et, selon les milieux pro-esclavagistes, son talon d'Achille. Ceux-ci ne manquent pas de tirer profit de cette supposée vulnérabilité pour présenter l'association comme un agent à la solde de la Grande-Bretagne chargé d'anéantir l'édifice colonial français.

La filiation étrangère de la SAN, revendiquée, mais problématique, ne doit pas surprendre. La traite et l'esclavage ayant dès le départ un caractère cosmopolite, la lutte pour leur abolition n'est envisageable que dans un cadre international. Dans les statuts de la SAN, seule une action concertée entre nations est considérée pour mettre fin au commerce des esclaves.
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Avant même qu'ait lieu, le 14 juin 1830, le débarquement du corps expéditionnaire français dans les environs d'Alger, Sismondi se pose la question de la légitimité et de l'utilité de cette opération militaire controversée. Pour lui, c'est une «guerre juste, (...) elle est honorable, (...) elle est utile à la France, et (...) de toutes les conquêtes que la nation peut désirer, aucune ne lui serait plus avantageuse que celle des rivages si rapprochés de la Barbarie». Pour justifier la conquête, Sismondi invoque un principe d'ingérence, selon lequel l'Occident «éclairé» a le droit et le devoir de porter la civilisation au reste de la planète. C'est une idée qui n’aurait pas effleuré l'esprit d'Adam Smith.
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Ce dont les actes notariés genevois peinent le plus à rendre compte est la manière dont les maîtres considèrent leurs esclaves. Ce qui n’étonnera personne vu la nature de telles sources. Ce qu’elles en disent néanmoins au compte-gouttes et de façon allusive n’est, pour l'époque, rien moins qu’original, comme l'illustrent les rares exemples suivants.

Dans l'acte de succession de François Sartoris, probable administrateur genevois de la plantation de Fatio au Surinam, rien ne laisse supposer que les esclaves en sa possession soient des êtres humains, ceux-ci étant classés dans une rubrique fourre-tout où ils côtoient «planches, meubles, or, argent, titres, papiers et documents et autres choses de quelque nature qu’elles soient (...)».

Le legs du Mat Rouge, plantation guyanaise cédée par Jean Gallatin à ses enfants, fait l'objet, au début des années 1770, d’une correspondance dans laquelle il n’est pas fait de distinction entre esclaves et «bestiaux».
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Tout aussi symptomatique, surtout de la part d'un ex-candidat aux études de médecine, est son silence sur les maladies épidémiques (fièvre jaune, choléra, paludisme) qui, dans la colonie, déciment colons blancs et esclaves noirs. Il est pourtant de notoriété publique au XVIIIe siècle que les Caraïbes sont un véritable mouroir pour tous ceux qui s’y rendent. Les Européens qui s'y installent et les captifs africains qui y sont déportés voient leur espérance de vie chuter de façon dramatique. Aussi, le renouvellement des populations blanche et noire ne peut être assuré que par un flot continu de nouveaux arrivants. Fièvres, dysenteries et insectes agressifs font des Antilles un milieu pathologique extrêmement hostile pour leurs habitants jusqu'au premier tiers du XIXe siècle.

L’expédition avortée de reconquête française de Saint-Domingue, lancée entre 1791 et 1803, tourne à la catastrophe épidémiologique : sur un total de 59 000 soldats envoyés de France pour mater la révolte des esclaves, 49000, soit 80%, meurent de maladies. À aucun moment, Trembley, qui aime tant endosser les habits de l'observateur scientifique, ne dit mot de cette version effrayante de la roulette russe où Européens, de gré, et Africains, de force, jouent avec leur vie en faisant tourner le barillet d'un revolver dans lequel il y a trois à quatre fois plus de chambres chargées que vides.
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À son retour à Genève, Moynier cherche comment promouvoir au mieux le projet africain du roi des Belges. Il se rend bien compte qu’en Suisse, autorités et population ne s’intéressent guère à la «cause» léopoldienne. Il regrette de plus son rôle effacé à la réunion de Bruxelles: «J'étais (...) un peu honteux d'assister à de longues séances de discussion (...) sans y prendre une part active.» Il se demande comment il pourrait, «pendant ce temps d'inaction relative», soutenir la mission qui passionne Léopold II. Mission qui, selon Moynier, assigne à la «race blanche de dédommager la race noire du mépris dans lequel elle l'avait tenue pendant si longtemps et de la faire bénéficier des moyens dont dispos [e] la civilisation moderne pour améliorer son sort». L'idée lui vient d'un périodique couvrant « toutes les tentatives par lesquelles des groupes multiples s’efforceraient de dissiper à l'envi les ténèbres de l'Afrique».

Moynier concrétise rapidement son idée en engageant deux rédacteurs genevois (Charles Faure et William Rosier), avec lesquels il lance, en juillet 1879, Afrique explorée et civilisée (AEC). Six mois avant la création de la revue, Moynier écrit à Léopold II pour lui annoncer sa volonté de «seconder les vues civilisatrices de Votre Majesté». Pour cela, lui assure-t-il, il faut donner à son «œuvre africaine» un «instrument de propagande».
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L'assimilation par les institutions ne vaut guère mieux à ses yeux.

Prenant l’exemple de l'assimilation judiciaire de la Cochinchine, il (Léopold de Saussure) relève que le conquérant français a eu «la bonne fortune de trouver chez [ce] peuple conquis un système [judiciaire] simple et (...) solidement organisé». Ce système, qu'il décrit dans le détail, ne tarde pas être remplacé par un nouveau, totalement inadapté. L'ignorance des nouveaux magistrats de la langue, du droit et des mœurs des indigènes na pas manqué de causer des désordres, créant des situations parfois absurdes.

Saussure s'attarde sur l'une d'entre elles. À la suite de l'abolition de l'esclavage dans les Antilles françaises et à l'octroi aux affranchis des droits du citoyen, «nègres et mulâtres» affluent dans la nouvelle magistrature cochinchinoise, dont l'accès leur est facilité vu le faible goût des Français métropolitains pour l'expatriation. Si bien que vers le milieu des années 1890, le personnel des tribunaux de Cochinchine est constitué de 45% d'« hommes de couleur». Ce qui crée des situations saugrenues. Saussure cite le cas d'un «Annamite» condamné pour une infraction de police, qui s'est senti profondément humilié d’être jugé par un tribunal entièrement composé de Noirs. «Je veux bien, se scandalise le coupable, être jugé par des Français, mais non par des nègres. »
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Les rencontres que fait Clavière à Neuchâtel lors de la première étape de son exil illustrent bien ce bariolage à nos yeux étrange. Elles ont lieu en juillet 1782 chez Pierre-Alexandre DuPeyrou, un milliardaire en termes de pouvoir d'achat actuel qui s'est fait construire dans ce coin de l'Helvétie, entre montagne et lac, un somptueux palais. Clavière et son épouse y sont reçus à plusieurs reprises. Ils y retrouvent Jacques-Pierre Brissot dit de Warville, futur chef révolutionnaire français, dont Clavière fait la connaissance un mois plus tôt à Genève. C'est la que se resserre leur amitié : « Plus je me liais avec les Genevois, écrit Brissot dans ses mémoires, et plus je m'attachais à eux ; mais celui qui me séduit surtout, celui que je commençai dès lors à regarder comme mon ami, comme mon Mentor, fût Clavière. »

Au mois d'août, Clavière et Brissot sont présentés par leur richissime hôte à Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, autre future figure de la Révolution en visite à Neuchâtel. Clavière, Brissot et Mirabeau, qui six années plus tard se retrouvent à Paris pour lancer ensemble la Société des Amis des Noirs, reconnaissent DuPeyrou comme un des leurs, bien qu'ils sachent que sa fortune colossale provient en partie des revenus générés par ses plantations en Guyane hollandaise. Il faut dire que DuPeyrou est un planteur esclavagiste assez particulier : c'est un admirateur de Montesquieu, de Voltaire et, surtout, de Jean-Jacques Rousseau, doublé d'un défenseur du modèle constitutionnel libéral de l'Angleterre.

Dans ses mémoires, Brissot se dit enchanté du mois passé chez DuPeyrou: «Cet agréable séjour me parut le temps le plus court de ma vie. » II y jouit du luxe de la grande demeure aristocratique et des charmes du vaste domaine qui l'entoure. Mais, non sans quelque affectation, il regrette d'être «entouré de trop de somptuosité». Le grand salon doré du palais, écrit-il, « convenait plus à Paris qu'à des montagnes solitaires (...)». Brissot aurait voulu que «M. Dupeyrou (...) eût (...) employé les revenus immenses qu il tirait de ses habitations de Surinam à des objets d'utilité publique (..,)».
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Il est tentant (…) de faire un parallèle entre Jean-François Butini, le patricien genevois «radical conservateur», et Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l'aristocrate sicilien «libéral réactionnaire», auteur du roman Le Guépard retraçant la transition de la Sicile au milieu du XIXe siècle entre un ordre ancien et nouveau. L’ambiguïté dont est empreinte cette transition est résumée par les célèbres mots d'un des protagonistes : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change. »

Dans les Antilles du dernier tiers du XVIIIe siècle, c’est le même credo : pour conserver les avantages de classe que leur réserve le système colonial, les élites blanches ont tout intérêt à renoncer à leur absolutisme en épousant la cause abolitionniste.
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