Notes, Al Berto
Lu par Laurent Natrella
C'est vrai, on a frappé à la porte mais tu ne pouvais pas ouvrir,
Dans cette maison où seule survit la mémoire trouble des poèmes aimés,
Plus personne, plus rien,
Par-delà le mur de boue et la boîte à chaussure remplie de syllabes précieuses,
Et une petite table avec un albatros empaillé pour surveiller ton âme.
Dans un coin de la pièce, la cigarette continue de brûler,
Au bout des doigts de ton portrait caché,
Derrière le canapé,
Tourné vers le mur,
Comme toi couvert de moisissures, de craintes et d'ennui.
"Fantômes" Extrait - Al Berto
tu es assis et tu entends l'écroulement des jours
contre la mer qui te révèle les tristes histoires
du miroir où l'enfant à tué son image
des rues désertes passent au ras du cœur
salive dans le mouvement circulaire du corps sous
un autre corps qui ne connaît pas le don de se livrer
au temps voluptueux d'autres mains
soulève le col de ton manteau sors dans la rue
presse ton pas
laisse les heures te fustiger jusqu'au bout de la nuit
et ensevelir dans le sang la fraîcheur insoupçonnée
de ce qu'il te reste à chanter
la douleur arrive comme un stylet perfore
le schiste des artères où des étoiles troublent
le sens de cet homme qui tue en écrivant
celui qui écoute et celui qui parle
Douze demeures de silence — 11.
abandonner le village le lieu la maison le corps
l’écriture et tous les paysages
voyager en cachette dans le train postal de la nuit
piétiner ton ombre oblique sur ces étendues de sable
cerné par les eaux mordre le corail de la peur
où ton absence se brise… migrer
avec les marées de la nuit vers les régions où le rêve existe
loin de toi
une bière une autre encore une autre
pour qu’un sourire se révèle dans l’ivresse des adieux
j’ouvre un livre :
une seule chose est nécessaire : la solitude, la grande solitude intérieure.
Marcher en soi, et pendant des heures, ne rencontrer personne — et c’est à cela qu’il faut arriver.
je ne parviens pas à lire davantage… je ferme les yeux
le paysage disparaît dans un rapide adieu mal cadré
je pense revenir
et je sais que le mensonge s’éveille déjà en moi
je m’enfonce profondément dans mon siège… je défie le sommeil
l’angoisse de l’éternel voyageur m’envahit
trains navires où partez-vous ?
attendez-moi
j’y vais
les bateaux sont la dernière image qui nous reste pour fuir
mais seules les paroles nous enivrent
ce sont les longues flammes qui dévorent les bateaux et la mémoire
où nous voyageons
nous oublions ce qu’on nous a enseigné
et si par hasard nous ouvrions les yeux
l’un vers l’autre
nous trouverions une autre immobilité un autre abîme
un autre corps raidi
palpitant dans l’imperceptible et nocturne blessure
je passe la nuit dans la vie précaire du feu
cette rumeur de mains qui effleure le corps
endormi dans la surface du miroir
je suis saisi du désir trouble de te réveiller
et de la peur de vouloir encore tout réinventer
les mains pressentent la légèreté rougeoyante de la flamme
répètent des gestes semblables à des corolles de fleurs
des vols d’oiseau blessé dans le clapotis de l’aube
ou restent ainsi bleues
brûlées par l’âge séculaire de cette lumière
échouée comme un bateau aux confins du regard
tu lèves de nouveau ces mains lasses et sages
tu touches le vide de nombreux jours sans désir et
l’amertume humide des nuits et tant d’ignorance
tant d’or rêvé sur la peau tant de ténèbres
presque rien
elle se dresse, l’après-midi marine, et ensevelit
le corps qui refuse les nouvelles du monde
et sur la corde azurée des ondes brûle le regard
de celui qui de toi s’approche sans sommeil
peut-être n’y aura-t-il plus de mots après
ces derniers vers le visage oublié
contre la vitre l’ongle rayant le nom
dans la poussière indique au navigateur fatigué
le limpide plancton de la mort