Citations de Abby Geni (183)
La plupart des gens ne vivent pas ainsi : en racontant chaque instant tel qu'il se déroule, au passé, comme un observateur détaché.
Ses yeux étaient si bleus.
On aurait cru des fenêtres,
comme si en les regardant je voyais le ciel derrière lui.
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La noyade est un moyen sublime, extatique de quitter ce monde, l'entrée dans un rêve plus que dans la mort.
Les îlots sont les étoiles principales d'une galaxie de vie marine.
J'aime me sentir déracinée. J'aime les avions et les bus.
Le paysage océanique est un patchwork constitué d'un millier d'éclats bleus.
Il y a longtemps, on appelait cet endroit l'archipel des Morts. Maintenant je comprends pourquoi. L'île du Sud-Est fait à peine plus d'un kilomètre carré de surface. Les autres îlots sont nus, pelés, déchiquetés. Pas une seule plage de sable. Le rivage est veiné d'algues, les pics escarpés et morcelés. Les îles sont disposées par taille comme les invités sur une photo de mariage. Leurs contours renvoient une certaine crudité. Si Dieu a ben créé le monde, il semble avoir délégué le façonnage des îles Farallon à son beau-fils encore mineur qui, de plus, s'est servi d'une mauvaise argile.
J’imagine que c’est notre façon de savoir que nous sommes en vie : en continuant d’éprouver de la douleur.
Ses yeux étaient si bleus. On aurait cru des fenêtres, comme si en les regardant je voyais le ciel derrière lui.
Se souvenir c'est réécrire. Photographier, c'est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j'imagine, sont ceux qui ont été oubliés.
Il n’y a rien de plus solitaire que le chagrin.
C’est un monde dénué de couleur, et pourtant, je lui trouve la beauté d’un arc-en-ciel.
Plus que toute autre forme artistique, la photographie requiert d’être froid et dépassionné. (…)
Ce travail exige un esprit qui sache se tenir à distance. (…)
Le traumatisme et la souffrance sont les fondements de l’art. J’y crois. Mais confronté à la tragédie, un peintre spécialisé dans les fresques ou dans les aquarelles peut vivre ce moment en être humain et redevenir artiste après. Face à la mort d’un être cher, un sculpteur ou un portraitiste peut d’abord souffrir, faire son deuil, guérir – puis créer. La plupart des artistes traversent l’existence de cette manière. Ils peuvent avoir des réactions normales face aux vicissitudes de l’expérience humaine. Ils peuvent traverser le monde avec compassion et camaraderie.
Ils peuvent créer plus tard. En dehors, ailleurs, au-delà.
Mais la photo est immédiate. Elle n’offre pas le luxe du temps. Confronté au sang, à la mort ou au changement, un photographe n’a pas d’autre choix que de saisir son appareil. L’artiste vient en premier, l’être humain en second. La photo est la captation neutre des événements, la chronique du sublime comme de l’effroyable. La nécessité veut que ce travail soit effectué sans émotion, sans attache, sans amour.
J’ai cligné des yeux. Du temps a passé. Je me tenais dehors, sur le trottoir, dans le vent propre. Ça m’est arrivé souvent, et ça a duré longtemps. On cligne des yeux, et une heure s’évanouit. On ferme les yeux et c’est tout un après-midi qui s’envole. À croire que quelqu’un découpait mon calendrier intérieur avec une paire de ciseaux pour en retirer du temps.
- Voilà une expression intéressante, a-t-il dit. Tu as perdu ta mère. J'ai perdu ma femme.
- Oui.
- On les perd. On les égare. C'est exactement ça. Cette chose qu'on a toujours eue avec soi, cette chose à laquelle on était si habitué qu'on n'y pensait plus. Comme des clés ou un portefeuille. Je me pose encore la question : "Où est-elle passée ? Elle était là il y a encore une minute."
La maison est le lieu où je me souviens le mieux de toi. Je me souviens de ta silhouette fine blottie sur le canapé, un livre à la main. Je me souviens de ta voix qui monte comme un chant, l’écho rebondissant dans le couloir en provenance de la douche. Chaque pièce est un trésor de souvenirs inattendus. Le moindre détail – un objet, une odeur, un son – peut amorcer un souvenir, me renvoyer d’un coup dans le passé.
Quand tu as perdu quelqu’un, ça devient ça l’histoire de ta vie. C’est la seule histoire que tu aies.
… il existe deux catégories de personnes dans le monde. Les chasseurs d’œufs et les gardiens de la lumière. Le moteur des premiers est le désir de possession et l’avarice. Celui des autres est la curiosité et le respect. Les chasseurs prennent tout ce qu’ils peuvent prendre, sans penser aux conséquences. Les gardiens de la lumière prennent ce dont ils ont besoin, sans plus. Les chasseurs veulent avoir. Les gardiens veulent être.
On dit que le temps ralentit dans des moments de stress très intense. J’ai fait quelques recherches sur le sujet, et en fait, ce qui se passe, c’est que la mémoire devient incroyablement fidèle. En temps normal, l’esprit ne se raccroche qu’aux images et aux événements importants. Nous nous souvenons des grandes choses et oublions les petites. En situation de stress, toutefois, notre cerveau stocke tout. Le temps s’écoule à la même vitesse que d’ordinaire, mais avec le recul, le souvenir devient photographique. C’est comme si la trotteuse avait ralenti, comme si nous étions capables de voir le monde qui nous entoure dans des détails aussi fantastiques que précis.
Chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose, nous le transformons. Ainsi fonctionne notre cerveau. J'envisage mes souvenirs comme les pièces d'une maison. Je ne peux pas m'empêcher de les modifier quand j'entre à l'intérieur – je laisse des traces de boue par terre, je bouscule un peu les meubles, crée des tourbillons de poussière. Avec le temps, ces petites altérations s'additionnent.