En réalisant la dernière partie de mon livre précédent, Romance, je m`étais rendu compte qu`alors que ce chapitre fait pratiquement la moitié du livre à lui seul, l`accumulation des images n`avait pas pour conséquence de rallonger le temps raconté dans le livre. C`est-à-dire que l`espace de narration n`affectait pas sa temporalité : à la limite, le premier chapitre du livre qui n`est constitué que de trois images est d`une temporalité en fait au moins équivalente voire supérieure à cette dernière partie. La seule chose qui change réellement c`est que ce temps est diffracté par les différentes actions et les différents points de vue. Il s`anime au lieu d`être fixe.
C`est ce constat qui m`a amené à concevoir Nos Vacances. C`est venu coïncider avec ce que je pourrais appeler une "crise de l`imagier" chez moi, et le retour improbable et désiré d`une idée plus ancienne, qui aurait été un imagier des actes, Actions et Agissements, dans une veine proche de celle des Gens ou de Saisons, avec un dispositif identique ou presque, à savoir une sorte de jeu de langage et de devinette entre la description visuelle et la description écrite.
Il existe des versions antérieures dans lesquelles les différentes actions du livre comportent des légendes. Je me souviens avoir voulu chapitrer ce livre un peu à la manière de Romance, mais action par action, sur l`espace d`une ou de deux pages, un peu à la manière d`anciens livres scolaires à portée moralisante, montrer une action et sa conséquence. Au départ c`était assez amusant et puis ce système a assez vite montré ses limites et sa rigidité. J`ai donc décidé de supprimer toute intervention textuelle de ce livre qui s`est orienté vers le récit visuel pur. Ce qu`il reste de cette première idée est la distribution des actions sur les espaces des pages doubles ou simples. La conséquence, elle, est déportée sur l`espace suivant, c`est ce qui rend le livre dynamique et narratif. Toute intervention textuelle, y compris sous forme de dialogues devenait superflu, ou même néfaste à l`atmosphère que j`ai essayé d`installer.
La nécessité de réduire vient d`elle-même. J`ai supprimé au fur et à mesure certaines séquences et objets qui n`étaient pas absolument nécessaires pour pouvoir me concentrer sur l`essentiel du récit et du fonctionnement de sa narration. Il est parfois douloureux de devoir supprimer certains épisodes, surtout lorsque ceux-ci ont pratiquement existé à l`origine même de l`histoire, ou lui ont donné son impulsion ou son désir de la faire exister. Mais c`est ainsi.
Il y a un côté logique voire un peu mécanique dans tout ça. Si l`on veut rester au plus proche de l`impulsion initiale, alors il faut parfois faire certains sacrifices. Ici, j`ai décidé de me concentrer sur la situation plutôt que sur ses arrière-plans et j`ai trouvé qu`il y avait déjà suffisamment à faire.
Je dessine certains de mes livres entièrement sur ordinateur avec un logiciel de retouche d`images photographiques qui n`est pas forcément le meilleur outil pour ça. Nos Vacances est un de ceux-ci. En fait, de plus en plus j`utilise l`ordinateur et ce logiciel comme une sorte de table de mixage. Pour ne pas avoir à gérer des documents trop lourds, je travaille certains éléments séparément dedans des documents plus petits, puis je vais ensuite réunir tous ces documents dans un seul et essayer de les fondre en une seule image. Pour ce faire, il faut passablement "truquer" l`image, lui donner une lumière générale, mettre des contre-jours, éclairer un coin là, mettre une ombre portée ici, etc. Pour faire ceci, je dois me rappeler toutes les expériences que j`ai pu faire par le passé avec différentes techniques comme le lavis d`encre, le fusain ou le pastel gras, voire la photo… et bien évidemment essayer de me remémorer toutes les oeuvres des artistes que j`admire et qui me semblent aller dans le sens que je veux. de cette façon, j`assemble plutôt un ensemble de techniques plutôt que d`en élaborer une seule.
Je ne me pose pas ces questions ou pas dans ces termes en tout cas. Une idée me plaît au point où j`ai envie de la réaliser. Et il faut absolument que je me concentre sur sa réalisation parce que ce n`est absolument pas facile à faire.
Ce n`est d`ailleurs pas mon rôle que de décider si tel livre est destiné à tel public ou non, c`est celui de l`éditeur. Et ensuite, bien entendu, vient la réponse du public qui décide au final si ce livre lui plaît ou non, s`il le comprend ou pas.
Les contraintes que je m`impose sont celles de la production et de la lisibilité, presque de l`interface, pourrait-on dire. Je travaille non pas à lisser les choses mais à les polir jusqu`à ce qu`elles me semblent fonctionner quasiment toutes seules. J`arrive à m`en vouloir terriblement lorsque je constate que j`ai négligé telle ou telle chose, que cela aurait pu être mieux fait, de manière plus maîtrisée. Mais je ne remets le livre entre les mains de l`éditeur que lorsque je l`estime globalement satisfaisant. C`est un point de vue très artisanal, j`en ai conscience.
Je n`ai jamais imaginé remporter le moindre prix. Lorsque ça arrive, je me dis "Ah oui, c`est bien." ou quelque chose comme ça. Les circonstances faisant que tel ou tel ouvrage remporte un prix sont tellement improbables qu`il est inutile de simplement y penser. le prix dont vous parlez est le premier qu`un de mes livres ait emporté et c`est vrai que c`est un sacré intitulé ! Mais je n`y suis pour rien. Nous avons tenté, les gens de chez Albin-Michel et moi, de faire le livre le plus judicieusement possible et cela seul a été notre démarche. le reste n`a été qu`une conjugaison de hasards et de volontés combinés. Ça me dépasse largement.
Comme tout, cela a eu des aspects très positifs et d`autres un peu plus négatifs. Cela a eu pour conséquences de faire connaître ce livre et de faire reconnaître mon travail plus rapidement sans doute, mais a aussi créé une sorte de légende faisant de moi une sorte de Nerd, ce que je ne suis pas du tout. Je pense juste que ce médium (le livre pour enfant) devrait être pris plus au sérieux. Je ne suis pas le seul à le penser, heureusement.
De faire des livres, donc. Sans hésitation aucune Jimbo, Adventures in Paradise de Gary Panter. Auparavant Le garage hermétique de Jean Giraud Moebius avait bien préparé le terrain.
Il y en a eu tant ! Je dirais peut-être le Frankenstein de Mary Shelley. Je l`ai lu très jeune et il m`a réellement effrayé. Pas tellement par ce qu`il s`y passe mais par la nature du monstre. Pour moi, il s`agit d`un homme extérieurement tout-à-fait normal, ce qu`aucun film n`a jamais rendu, devant faire de la créature un monstre visuel. Et je trouve ça faux. Dans le livre, c`est l`intérieur du monstre qui crée réellement un trou, une ombre absolue qui obscurcit cette présence même et qui me la rendait si terrifiante. C`est ce vide vertigineux, affamé et prédateur…
Difficile à dire. Adolescent, j`ai dû relire Les Trois Mousquetaires d`Alexandre Dumas au moins cinq fois, puis plus jamais depuis. La lecture de certains des plus courts romans de Jack Vance m`a accompagné toute ma vie. Je les relirai sans doute encore une fois ou deux, parce que j`y trouve de l`inspiration et qu`il provoque en moi des images. D`autres livres n`ont été lus qu`une ou deux fois, mais m`ont marqué à tout jamais.
Aucun. La honte dont vous me parlez n`est que sociale. Je ne lis pas pour les autres, mais pour moi-même.
Certains livres sont réellement difficiles à lire. Si je pense que je dois les lire, alors je dois fournir un certain effort et me cultiver pour y arriver. Je n`y arrive pas toujours.
Je n`en sais rien. À chaque fois qu`un livre me plaît, cela me semble évident que ce livre est connu et reconnu universellement. Je me rends compte que ce n`est pas toujours vrai. Ça vaut le coup de lire Robert Walser, Kenji Myasawa ou Arno Schmidt, si vous voulez des noms… Hoffmann est mon préféré. Il est très connu et classique, mais il faut le lire et le relire, c`est tellement riche et il existe encore - je crois - passablement de malentendus sur sa littérature.
Oui, plusieurs.
Les cheveux d'ange se mangent-ils ?