J'adorais ma mémée. Mais, il arrivait parfois qu'elle me fasse honte. Quand les copains de lycée passaient à la maison et qu'elle leur demandait : « Vous voulez du
shit ? »
Elle avait beau préciser dans la foulée : «
Shit orange ou
shit citron ? », le mal était fait… Au bahut, je devins le petit-fils de mamie Chichon. Pourtant, le seul « dit-l'heure » que mémée connaissait, c'était le clocher penché de l'église de la Souterraine lui rappelant l'heure de la messe. Deux guerres, un veuvage et la perte de son fils unique ne parvinrent pas à la convaincre et ce jusqu'à sa dernière heure presque centenaire, de s'abstenir de louer le seigneur pour son infinie bonté…
Je vous parle de ce temps car, en lisant ce livre, j'ai eu l'impression que je descendais de ma montagne, sur un chariot chargé de paille, sur un chariot chargé de foin… Si Versailles m'était Franche-Comté, grâce à
Jacky Schwartzmann, j'ai remonté le temps. J'ai retrouvé une époque, pas seulement celle des allusions fumeuses d'Hubert-Félix, mais surtout celle où l'humour bête et méchant, payé en trash, était érigé en art, efficace antidote contre toutes les formes de conservatisme. Cavanna,
Reiser,
Coluche,
Mocky et les autres dézinguaient avec jubilation les Tartuffe, les Diafoirus et les Jourdain, rappelant qu'au pays de l'absolutisme, la tradition de la farce voire du libelle était vivace. Que le vocabulaire de «
Shit ! » soit susceptible d'heurter les membres du fan-club de Bellamy est donc réjouissant. Il y a fort à craindre, hélas, que les cibles nombreuses choisies par l'auteur puissent perturber les puritains autoproclamés de gauche, lointains héritiers de ces intellectuels qui abhorraient Gary, ignoraient
Kundera, mais vénéraient Mao. Ceux qui, aujourd'hui, tentent de nous convaincre de renoncer au second degré, marqueur de notre identité culturelle. Ceux qui, au nom d'une nécessaire défense de la planète, d'une impérieuse défense des choix individuels, du bannissement indispensable de toutes les formes de discrimination, oublient que l'humour est une arme efficace et indispensable contre l'arbitraire et que la dérision a toujours constitué un levier susceptible de déboulonner toutes les statues de la bien-pensance.
C'est ainsi que j'ai lu ce livre délicieusement vitaminé, se moquant du véganisme et du halal, du macronisme et de l'insoumisme, des Albanais et des Québécois, où flotte, de surcroît, la délicieuse odeur des Paninis, celle des vignettes de foot pas celle des infâmes collations. le ballon rond étant alors un jeu et non un placement boursier.
Le polar décalé est un excellent moyen d'aborder avec légèreté des problématiques complexes qui n'ont rien d'amusantes. Dans ce quartier chaud de Besançon, oxymore météorologique mais réalité urbaine, Schwartzmann, à sa manière, avec cette histoire déjantée, nous incite à réfléchir aux paradoxes et à la violence sociale de notre époque. Même si l'évocation du conflit des Lip prouve qu'hier aussi la casse humaine était grande… Il n'était pas forcément béni, le temps passé !
J'ai savouré cette fable irrévérencieuse, même si la fin m'a un peu frustré. Thibault, ce drôle de CPE, est-il Robin des Bois ou Escobar, un héros ou un salaud ? La morale de cette histoire conserve un mystère. Peut-être la conclusion reflète-t-elle le pessimisme de l'auteur…
C'est son droit le plus sacré, qu'il me soit permis de conserver davantage d'espoir sur les perspectives de ceux qui sont confrontés à la dureté contemporaine. Je n'ose imaginer comment ce sniper de la plume règlerait mon compte d'indécrottable optimiste !