Héliosphéra, fille des abysses

Si le jury du Goncourt 2022 avait eu quelque courage, ou quelque clairvoyance, il aurait primé ce roman car il est... primordial. Il aurait dépassé les querelles nombrilistes et les conflits d'intérêts pour récompenser un livre qui se démarque de la Rentrée littéraire 2022 par l'intelligence et l'urgence de son sujet. L'auteur relève un défi pédagogique et littéraire en croisant les destinées de microparticules de plastiques, d'une jeune chercheuse et de deux êtres à peine visibles (l'une appartient au zooplancton, l'autre au phytoplancton) : nous rappeler que tout est lié ET DONC fragile. Un livre de plus sur le désastreux impact de l'Homme sur la planète ? Non, car l'auteur veut davantage partager son émerveillement que verser dans le drame. La collection des Mondes Sauvages d'Actes Sud n'est pas à son premier coup d'essai mais, dans la lignée d'Autobiographie d'un poulpe (Vinciane Despret, 2021), Wilfried N'Sondé insuffle sa poésie pour, certes, nous rappeler que le moindre de nos gestes a des conséquences à la fois durables et multiples, bien au-delà de ce que nous croyons, mais aussi et surtout pour rendre compte de la profonde intelligence qui régissait les grands équilibres naturels avant notre arrivée. Les fragments d'un ballon de plastique lâché dans la vallée de la Clarée (à l'occasion d'une campagne de sensibilisation au réchauffement climatique...) voyagent à travers les eaux et les organismes, modifiant chacun d'eux. A la même échelle, deux micro-organismes dépendent de facteurs climatiques d'envergure pour fusionner. La jeune chercheuse, témoin de ces mutations, éprouve de très subtiles émotions qui la relient intimement à l'océan comme au cosmos. La prose échographique de l'auteur rend compte des innombrables façons dont les éléments s'ajustent pour permettre la vie. Impossible, après une telle lecture, de ne pas être très précisément et très concrètement révolté par les emballages de McDo/KFC qu'on trouve sur les parkings, les plages, les bords de rivières et de routes (comme l'artichaut, il y a plus de restes que de parties consommables, sauf que l'artichaut est totalement et rapidement biodégradable). Je n'ose imaginer la quantité de particules microscopiques que les pneus de ma voiture libèrent à chaque mètre. Je sais maintenant où la pluie les emmène.

Certains héros de cette histoire sont d'un univers romanesque tout-à-fait inaccoutumé.
Il y a Ollanta, double de l'auteur, embarquée sur le Tara pour examiner la constitution du plancton : animaux et végétaux microscopiques de l'océan. Connaitre leur vie, leur reproduction, leur mort, leurs liens avec leur environnement (leur écosystème) et les souffrances parfois insurmontables dues aux modifications de cet environnement. Là, nous sommes dans le réel. La goélette Tara existe bien et fait bien ce type de relevés. Elle contribue à une connaissance scientifique fine du milieu marin et des changements auxquels il est soumis. Elle contribue à faire de l'océan un « commun » et invite régulièrement à son bord des artistes pour qu'ils disent en termes sensibles ce qu'il se passe dans ce commun. La fondation Tara, qui gère cette recherche, est déclarée d'utilité publique. C'est elle qui a convié Wilfried N'Sondé à un bout du voyage.
Trois autres héros n'appartiennent même pas à l'humanité : un bout de plastique, un végétal et un minéral, unicellulaires l'un et l'autre.
Le morceau de plastique provient d'un ballon publicitaire d'une opération écologique. Donné à un enfant, ce ballon finit sa course apparente, dans un buisson d'épines. Las ! le matière qui le constitue n'est pas morte et enterrée ; elle part autour du monde, se scinde en mille morceaux, tous actifs dans le milieu aquatique. Wilfried N'Sondé va nous narrer les aventures de cet objet inerte, balloté longuement, entrainé loin, collé à un bateau… et perturbant les lieux où il passe.
Les deux plus beaux héros sont Héliosphéra, parfaitement sphérique, recouverte d'un voile très fin… et Xanthelle, un singulier kaléidoscope, sorte de serpent arc-en-ciel. En principe, Héliosphéra est minérale tandis que Xanthelle est une algue. Malgré cela, elles vont s'unir dans une totalité fusionnelle maximale. Comme dans les bons romans, tout le monde se retrouve à la fin, dans son rôle et sa personnalité… Ollanta perçoit même que l'acte d'observation qu'elle pratique, par hasard, au moment même de l'union, risque de détruire ces deux êtres qui fusionnent et elle les relâche…
Wilfried N'Sondé mêle avec talent des genres réputés hétérogènes : la technique, la science, l'écologie et le récit coloré, picaresque… On apprend énormément de choses sur ces êtres que l'humanité connaît à peine, qui sont d'une variété quasi-infinie, et qui fabriquent la plus grande part de l'oxygène de l'air dont nous ne savons nous passer. Ils nous sont essentiels et étrangers, on vient à peine de percevoir les immenses bienfaits qu'ils font à la planète et à nous, humains… les honorer dans un récit fantastique au sens propre est, d'une certaine façon, la moindre des choses. le faire avec l'élégance de Wilfried N'Sondé est un coup de maitre.
Il faut dire un mot de l'objet-livre : certains espaces de la feuille, sans texte, sont investis par Margaux Bidat, qui illustre très librement le roman, en dessinant les êtres unicellulaires de l'océan dans de belles formes géométriques décoratives, représentant leurs mouvements, leurs élans, dans des processions de flocons légers très évocateurs.
Un roman, dans un univers inédit, qui surfe sur la beauté du monde et relie tous les vivants dans une grande histoire d'amour aux confins initiaux de la vie.

Excellente découverte que ce court roman qui mêle trois fils narratifs, pour trois histoires qui sont liées, comme tout en ce monde complexe. D'abord une jeune chercheuse, le coeur battant car elle va partir sur Tara, la célèbre goélette de recherche, selon moi l'un des bateaux les plus cools du monde. Ensuite, des fragments de plastique, les restes d'un ballon jeté par un imbécile dans la nature et que nous suivons au fil des décennies. Car oui, comme il se désagrège sans réellement disparaître, rien n'est jamais fini dans ce voyage mortifère et le lecteur suit les dégâts successifs causés. Et enfin, troisième fil narratif, celui qui m'a le plus passionné, les aventures de deux organismes minuscules, l'un appartenant au règne du zooplancton, l‘autre au règne du phytoplancton , qui se cherchent dans l'océan immense afin de vivre en symbiose, de se nourrir de leurs forces respectives, d'établir une belle harmonie. C'est émouvant, affolant, réussi enfin.

Une histoire d'amour planctonique

La fondation Tara Océan a pour mission de comprendre et protéger l'Océan. Mais pas seulement avec ses équipes de scientifiques: elle organise régulièrement des résidences artistiques, pour proposer un autre regard sur leurs travaux.
Et c'est comme ça qu'en 2021, Wilfried N'Sondé a embarqué à bord de la goélette Tara au large des côtes chiliennes. En route pour l'aventure marine microscopique ! A cette occasion, il a pu partager le travail des scientifiques chargés d'étudier le milieu marin et les bouleversements liés aux changements climatiques, sans oublier leur vie quotidienne dans la promiscuité d'une goélette parfois agitée !
Il ressort de ce livre un constat factuel de l'étendue des dégâts environnementaux suite à la dégradation d'un ballon tombé dans une rivière, l'émerveillement et l'humilité des membres de l'équipe face à la richesse de l'océan, et surtout une histoire palpitante entre deux individus du phytoplancton et du zooplancton, emportés par "l'étrange ballet nuptial des abysses".
C'est passionnant et accessible (même si on n'aimait pas la SVT au collège !)
Un très bel hommage à la biodiversité invisible !

J'ai déjà chroniqué des livres de la collection mondes sauvages @actessud . Dans cette collection on trouve surtout des essais sur les problématiques environnementales mais on peut aussi tomber sur un roman. #heliospherafilledesabysses nous fait découvrir la goelette tara qui parcourt les océans et les mers pour récolter des données scientifiques sur les changements que notre planète subie. Dans cette épopée nous allons suivre Ollanta sur Tara, un ballon de baudruche, Héliosphera et Xanthelle. J'ai trouvé l'imbrication de ces 3 destinées très bien faite. On se prend d'affection aussi bien pour Ollanta qui cherche à se reconnecter avec son passé et ce qui l'entoure, que pour les 2 « êtres » microscopiques qui tentent de survivre dans un monde devenu néfaste pour eux. L'auteur a vraiment réussi à retranscrire ce qu'il a dû vivre sur Tara et nous parler de la pollution qui bouleverse aujourd'hui nos océans. Une très belle découverte.