Cet ouvrage du
Prix Nobel 1980,
Czeslaw Milosz (1911-2004), se situe au même niveau d'importance que "Les origines du totalitarisme" d'
Hannah Arendt (1906-1975). Pas étonnant que le grand philosophe allemand-suisse
Karl Jaspers (1883-1969) en a assuré la préface. C'est d'ailleurs sous la direction de Jaspers qu'
Hannah Arendt a présenté sa thèse à l'université prestigieuse d'Heidelberg en 1928.
L'ouvrage analyse l'asservissement de l'esprit dans les États totalitaires de l'Europe centrale et de l'est après la Deuxième Guerre mondiale, que Milosz, comme citoyen polonais, a bien pu observer. Loin d'une diatribe violente de converti cependant, l'auteur a essayé d'en saisir la vraie réalité. Comme
Karl Jaspers note : "sans que l'auteur y insiste jamais, une souffrance infinie reste ici perceptible, dans la clarté et l'art d'un exposé tout objectif".
L'auteur lui-même ajoute, néanmoins, dans une introduction que "comprendre... ne signifie pas tout pardonner. Mes paroles sont aussi une protestation. Je conteste à la doctrine (marxiste-léniniste) le droit de justifier les crimes commis en son nom".
Ce livre a été écrit encore du vivant de Staline, en 1952-1953, à Paris où Milosz s'était réfugié après sa rupture avec le régime communiste de son pays en 1951 et où il a vécu une dizaine d'années avant d'émigrer aux États-Unis, en 1961. L'auteur y a été professeur de langues et littérature slaves à l'université de Berkeley en Californie. À partir de 1995 il a réalisé de fréquentes visites à la Pologne, où il s'est installé à Cracovie et où il est décédé en 2004, à l'âge de 93 ans.
Milosz est né en Lituanie, qui appartenait en 1911 à l'Empire russe, mais de parents polonais. Et bien que sa mère fit partie de la noblesse fortunée, il avait des sympathies pour les idées progressistes et socialistes lors de son adolescence et études de droit et de philosophie à l'université de Wilno (aujourd'hui Vilnius).
C'est à cette époque qu'il a commencé à écrire de la poésie et a créé le mouvement littéraire "Żagary", tout en présentant un programme littéraire à la radio.
Lorsque l'URSS a annexé la Lituanie, en 1939,
Czeslaw Milosz s'est rendu en Pologne occupée où il a rejoint la résistance polonaise. Pour son aide aux Juifs, Yad Vashem, le mémorial de l'holocauste à Jérusalem, l'a honoré du titre "Juste parmi les nations".
De 1945 à 1951 il a travaillé pour le service diplomatique de la république populaire polonaise, plus particulièrement comme attaché culturel à New York City, Washington et Paris.
Malgré ses idées de gauche, Milosz a eu relativement tôt, comme chroniqueur et écrivain, des problèmes avec "l'imprimatur" des autorités, c'est-à-dire la garantie qu'un écrit soit conforme à la doctrine officielle et unique.
"
La pensée captive" peut être considéré comme un jalon ou une étape importante sur la voie de la liberté de parole et d'expression. Les idées que developpe
Czeslaw Milosz dans cet ouvrage d'un peu plus de 300 pages ne sont peut-être pas toujours simples et demandent de la part de la lectrice et du lecteur une certaine dose de concentration, mais l'effort est grandement récompensé par le résultat.
À un moment donné dans son ouvrage l'auteur compare, en parlant de ce système de pensée unique, l'homo sovieticus à
Charlie Chaplin dans sa cabane de "La ruée vers l'or", lorsqu'il vague à ses occupations domestiques sans remarquer que sa demeure oscille et glisse déjà dans le précipice !