Anthropologue et professeur d'université, François Laplantine a étudié le Brésil avant de poser ses valises en Extreme-Orient. Il a déjà abordé le Japon en 2010 avec Tokyo, ville flottante. Dans cette ouvrage paru en 2017, il traite des extrêmes existants dans la société nipponne.
Je commencerai par les points négatifs de cet ouvrage. En premier lieu, j'y ai trouvé beaucoup de coquilles en général et de fautes d'orthographe dans la transcription en caractères romains des termes japonais (par exemple onnogata à la place de onnagata, hikikomori écrit une fois sur trois ainsi correctement ou sinon omettant le h, etc). Ça devient vite déplaisant dans la lecture. Et c'est d'autant plus gênant si le lecteur découvre la société japonaise avec ce livre. Une vraie relecture corrective aurait été bien nécessaire.
Le second bémol tient au faible volume de l'ouvrage. En effet, les chapitres, pour denses qu'ils soient, restent courts et François Laplantine survole parfois des notions ou des aspects spécifiques avec un paragraphe, voire une seule phrase. Un peu court.
Une fois cela dit, cette étude est une intéressante mise en relief des préjugés fantasmés de l'Occident sur le Japon, ainsi que du caractère diversifié de la spécialité nippone.
François Laplantine le déclare dès la première page: le Japon est le seul pays qui déclenche autant d'imaginaire fantasmatique chez nous Occidentaux. Imaginaire très ambivalent puisque s'y oppose un Japon éternel source d'une sagesse que l'Occident aurait perdu à des mégalopoles fourmilières où les habitants masquent émotions et pensées derrière une façade de réserve que certains résidents étrangers temporaires assimilent à de l'hypocrisie.
L'anthropologue tente de remettre un peu d'ordre dans ces présupposés en démontrant les extrêmes qui tendent la société de l'archipel.
Pour parvenir à son but, François Laplantine se base sur sa propre expérience en tant qu'étranger et en tant qu'anthropologue, sur les ouvrages d'autres chercheurs en sciences humaines, sur les notions et impressions véhiculées par la langue, la littérature et le cinéma japonais.
On voit ainsi que le Japon de l'ascèse zen est tout aussi présent que l'exubérance des cosplayers. Il insiste sur les définitions et les cadres de la socialité qui sont très contextuels. Ainsi dire "non" (iie) est extrêmement rare car jugé trop agressif dans la recherche de l'harmonie (wa) sociale. A la place s'instaurent de légers signes corporels ou des phrases telles que "c'est difficile" (muzukashii desu) ou encore "un peu" (chotto). L'interlocuteur socialisé dans l'archipel décode d'emblée ces non non-dits. Pour l'étranger, ce peut être déroutant.
En revenant sur le wa, désir d'harmonie, on se rend compte qu'il est à double face et que les Japonais se laissent parfois complètement aller, notamment lors des sorties entre collègues, après le travail, très alcoolisées. Ou, plus extrême, dans des situations de brimades et harcèlements (ijime - cf. sur ce sujet la série manga Life de Suenobu Keiko qui en fut elle-même victime) ou de hikikomori (des jeunes qui se renferment totalement et refusent de sortir de leur chambre - cf. La dernière métamorphose de Hirano Keiichiro qui éclaire sur cet état sous forme romanesque).
En conclusion, cet ouvrage est très utile à qui s'intéresse au Japon et à ses rapports en société. A noter que l'étude porte essentiellement sur la capitale Tokyo. Compte tenu qu'il fait moins de 200 pages et donc ne peut prétendre à l'exhaustivité, sa lecture peut se compléter utilement d'autre livres comme Les Japonais de Karyn Poupée ou ceux de Muriel Jolivet, Homo Japonicus et Japon, la crise des modèles.
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Alors que la société japonaise est presque unanimement réputée comme étant l'une des plus conformistes du monde, le personnage de "l'extravagant" contribue à mettre en question un stéréotype tenace. Il montre qu'il y a place pour la non-conformité. Et cette non-conformité valorisant l'accomplissement individuel, la subjectivité et la vie privée au détriment de la socialité, loin d'être rejetée par tous comme une calamité, peut au contraire être considérée comme exemplaire.
Chaque société, dans un processus que la psychanalyse appelle le contre-transfert, impose une distorsion à la connaissance des cultures dans lesquelles nous n'avons pas été socialisés et c'est cette distorsion qui est source de malentendus. Ces dernières [sic] viennent des présupposés et des projections qui tendent à enfermer les individus, voire une culture tout entière, dans une construction homogène et uniforme.
"Prologue"
La fascination pour la mort pouvant aller jusqu'au suicide est une tradition solidement ancrée dans la culture japonaise. Si le sacrifice collectif pour la patrie n'est plus guère d’actualité, le (suicide) est encore bien présent dans l'imaginaire contemporain. Il parcourt le roman et le cinéma et, mis en scène de manière spectaculaire, il fait toujours les délices des spectateurs de kabuki.
Japon. Aucun pays au monde ne me paraît l'objet d'une projection aussi massive d'imaginaire. Aucun pays ne suscite à ce point des fantasmes et des images clivées qui oscillent entre le paradis et l'enfer. Le paradis : la fascination pour une japonité mystique et mystérieuse qui serait l'autre absolu de《l'Occident》. L'enfer : la construction cette fois d'un Japon-repoussoir, le cauchemar de villes fourmilières dans lesquelles les êtres humains seraient devenus des robots.
"Prologue"
Ce qui compte le plus dans la culture japonaise est le mode et la manière et non la fin, le but à atteindre ; le processus et la présentation et non le contenu. (P.24)
Entretien avec François Laplantine, professeur émérite d'ethnologie, Université Lyon 2 et Roger Somé, Professeur à l'Institut d'Ethnologie de l'Université de Strasbourg.
Leçon d'Ethnologie autour du parcours de François Laplantine à l'occasion de sa venue à l'Université de Strasbourg pour la conférence "Penser l'intime aujourd'hui" le 4 octobre 2017