Entretien avec François Laplantine, professeur émérite d'ethnologie, Université Lyon 2 et Roger Somé, Professeur à l'Institut d'Ethnologie de l'Université de Strasbourg.
Leçon d'Ethnologie autour du parcours de François Laplantine à l'occasion de sa venue à l'Université de Strasbourg pour la conférence "Penser l'intime aujourd'hui" le 4 octobre 2017
Cette pensée [la pensée ambiante au Japon] non-théorique, non-théologique et encore moins monothéiste est une pensée qui allège. Elle allège de la pesanteur, de la profondeur et du sérieux des idéologies de la signification et de la représentation. Elle est une incitation non pas exactement à l'abolition mais plutôt à la suspension momentanée du langage. A la suspension momentanée, aussi, de l'activité consumériste.
Alors que la société japonaise est presque unanimement réputée comme étant l'une des plus conformistes du monde, le personnage de "l'extravagant" contribue à mettre en question un stéréotype tenace. Il montre qu'il y a place pour la non-conformité. Et cette non-conformité valorisant l'accomplissement individuel, la subjectivité et la vie privée au détriment de la socialité, loin d'être rejetée par tous comme une calamité, peut au contraire être considérée comme exemplaire.
Chaque société, dans un processus que la psychanalyse appelle le contre-transfert, impose une distorsion à la connaissance des cultures dans lesquelles nous n'avons pas été socialisés et c'est cette distorsion qui est source de malentendus. Ces dernières [sic] viennent des présupposés et des projections qui tendent à enfermer les individus, voire une culture tout entière, dans une construction homogène et uniforme.
"Prologue"
La fascination pour la mort pouvant aller jusqu'au suicide est une tradition solidement ancrée dans la culture japonaise. Si le sacrifice collectif pour la patrie n'est plus guère d’actualité, le (suicide) est encore bien présent dans l'imaginaire contemporain. Il parcourt le roman et le cinéma et, mis en scène de manière spectaculaire, il fait toujours les délices des spectateurs de kabuki.
Japon. Aucun pays au monde ne me paraît l'objet d'une projection aussi massive d'imaginaire. Aucun pays ne suscite à ce point des fantasmes et des images clivées qui oscillent entre le paradis et l'enfer. Le paradis : la fascination pour une japonité mystique et mystérieuse qui serait l'autre absolu de《l'Occident》. L'enfer : la construction cette fois d'un Japon-repoussoir, le cauchemar de villes fourmilières dans lesquelles les êtres humains seraient devenus des robots.
"Prologue"
L’une des tâches (urgentes) de notre époque est de réintroduire de la complexité, de la négativité et de la contradiction dans un monde qui tend vers l’indifférence (littéralement sans différence).
Ce qui compte le plus dans la culture japonaise est le mode et la manière et non la fin, le but à atteindre ; le processus et la présentation et non le contenu. (P.24)
Les mises en question de la violence d’État (Horkheimer, Adorno, Arendt), et de l’esclavage par le colonialisme (Fanon, Césaire) ne peuvent certainement pas être confondues, mais elles supposent, toutes deux, une pensée du dehors. S’il n’y a pas de dehors, en effet, le totalitarisme ne peut être renversé, les rapports de pouvoir ne peuvent se transformer, pas plus que les rapports que le sujet entretient avec lui-même
Il n'y a de "trop" et de "pas assez" que par rapport à des jugements de valeur dont nous avons du mal à nous départir et dont nous affublons les autres.