Puisque le rapprochement entre le Yusuf de Abddulrazak Gurnah avec le Yusuf de la douzième sourate du Coran, et avec le Joseph de la Genèse, cités par l'auteur, a été évoqué par d'autres lecteurs, il me semble plus intéressant d'étudier le titre même :
Paradis.
Lorsque Yusuf, le petit ingénu arrive avec son oncle Aziz dans la maison de celui-ci, après avoir pris le train construit par les Allemands, il a la vision fugace « d'un jardin d'arbres fruitiers, de buissons en fleur, de reflets dans un bassin ».
Lorsqu'il arrive, enfin, (parce que le jardin est clos) à y entrer, il découvre LE jardin, avec bassin au centre et des canaux dans les quatre directions des points cardinaux, et une grotte aussi, ainsi qu'une abondance de fleurs.
C ‘est exactement la description du
Paradis/jardin inventé en Mésopotamie : l'eau reflète le ciel, elle s'élève vers lui dans les fontaines, elle retombe en cascade, elle coule sur les terrasses, elle enchante l'oreille par ses clapotis, elle assure l'éclosion des fleurs parfumées et des arbres fruitiers( les orangers, les bananiers) et cela, métaphoriquement, pouvant s'étendre aux quatre coins du monde.
Ce jardin d'Eden, terrestre, donne une idée pour l'Islam du septième ciel crée par Dieu, lui –même partagé en sept niveaux, comme les jardins suspendus ou les jardins à terrasses de l'Inde.
L'Afrique Orientale Allemande, aujourd'hui Tanzanie reçoit depuis toujours les influences de l'Inde, de Boukhara, Tachkent d'Hérat, d'où lui vient le culte nouveau des jardins et de l'intériorité de l'Islam ; c'est par Zanzibar aussi que les explorateurs cherchant la source du Nil, Speke, Burton, Grant, Stanley, pénètrent, alors que les caravanes se dirigent de l'intérieur vers la côte : caravanes sans chameau, (malgré ce que pourrait nous faire croire la couverture du livre,) emportant l'or et les esclaves vers d'autres rivages .
La caravane de l'Oncle Aziz, à laquelle participe Yusuf, est une caravane marchande, portée par des volontaires payés pour le faire. Ils rencontrent au fur et à mesure de leur périple la présence des Européens, ce sont eux les nouveaux maitres. Aziz ajoute que ces étrangers font la même chose que ce que les arabes faisaient avec la traite, et ce que lui aussi fait, commercer.
Pourtant, les Allemands, introduits par Emin Pacha, ami de Stanley, ont instauré un régime un peu plus sévère que le commerce : taxes, interdictions, pendaisons, dans un pays où l'esclavage avait été la règle et où chacun pouvait vendre fils ou cousins.
Paradis, le livre Nobelisé en 2021, nous fait aussi voyager à l'intérieur des forêts et villages tanzaniens- j‘avoue ne pas avoir réussi à localiser Tayari, Mkata, Mkalkali, Mikosomi, , peu importe, la musique suffit parfois-( sauf Kilwa, ville côtière avec une Grande Mosquée somptueuse) et nous fait vivre la sortie de l'enfance de Yusuf, parti avec Aziz , qui en fait n'est pas son oncle, mais un marchand qui s'est payé de la dette de son père.
Il découvre donc qu'il est esclave, il entre dans le bosquet du désir, il devine maintenant ce que son maitre Aziz pense, ses angoisses et ses déconvenues, son calme et sa sérénité en toutes circonstances, essaie peu à peu de se sentir moins coupable quand il apprends sa propre histoire, et, finalement, ne choisit pas une liberté hasardeuse mais bien l'aventure des caravanes.
Livre pas plaisant au premier abord, un peu lent comme ces caravanes commerçantes, un peu tout azimut aussi, mais dont le charme discret se révèle à la relecture : Comme Aziz, un maitre zen africain, Gurnah donne à voir un monde feutré, et à la fois ouvert aux influences diverses venues du Moyen Orient, et aux pénétrations barbares, les ascaris, ou troupes africaines étrangères donc prêtes à tout .
Enfer.