Quel magnifique travail !
Le but de l'auteur est de "retrouver" Estelle Moufflarge, de la sortir de l'oubli, de faire revivre cette ado de 15 ans, disparue dans les camps nazis, comme tant d'autres. Mais c'est bien plus : à partir de ce cas, l'auteur a pour ambition de démonter le mécanisme administratif de cette tragédie au plus près de la réalité individuelle. Pour ce, l'auteur décortique le processus d'aryanisation des biens juifs, qui les réduit à la pauvreté, révèle le comportement de l'administration scolaire, éclaire l'application des lois raciales de Vichy en insistant sur les aspects juridiques.
On en tire la conclusion que, au-delà de la responsabilité évidente des plus hautes autorités dans ce processus, c'est l'implication individuelle de beaucoup, au poste où ils sont, la somme de petites lâchetés, qui ont contribué à la tragédie : l'extermination à été rendue possible grâce à une chaîne d'actions individuelles, de Pétain au petit gratte-papier en passant par le flic et le délateur, chacun étant un maillon indipensable de cette chaîne assassine.
Estelle était un être de chair et de sang, une jeune française d'origine juive, orpheline très tôt de père et de mère, recueillie par un oncle et une tante. En se fondant sur les quelques souvenirs familiaux et des lettres, en travaillant pendant dix ans sur les archives des administrations, l'auteur reconstitue sa trajectoire, la fait revivre ainsi que son entourage, dont ses frères qui suivirent un chemin différent.
Estelle revit donc, elle sort de l'oubli, du "gouffre de l'Histoire" dans lequel sont plongées tant d'autres victimes inconnues dont les noms remplissent dix longues pages à la toute fin du livre. Il y a là à peu près 1300 noms, ceux du convoi 61 du 28 octobre 1943 à destination d'Auschwitz. le plus jeune d'entre eux venait de naître, le plus âgé avait 90 ans. Et parmi eux, Estelle, inoubliable.
Il y a tout dans ce livre : l'intelligence, la science, et par dessus tout, discrète : l'empathie.
Commenter  J’apprécie         155
Un roman pour nous raconter « Estelle » vivante! Un travail d'enquête incroyable sur cette époque ! Je ne m'attendais pas à un roman autant documenté, et c'est quasiment un roman de sociologie de la France pendant la seconde guerre mondiale que nous découvrons ! L'auteur cherche à voir ce qu'Estelle a vu, son lycée, qui était la directrice et ses camarades, et petit à petit nous en apprenons plus sur le destin de toute sa famille, en passant par l'aryanisation de la boucherie de son oncle, et tout l'administration sous la gouvernance de Petain! J'ai apprécié cette approche qui n'en ai pas moins dénuée d'émotions mais celle ci est plus diffuse et la fin bien que déjà connue , m'a scotchée
Commenter  J’apprécie         40
Terrifiant de précisions un travail de recherches inouï qui permet de comprendre le destin d'Estelle durant cette terrible page d'histoire de France . Parfaitement documenté parfaitement décrit cet ouvrage est une enquête dans le passé merci à l auteur pour cet ouvrage qui doit marquer les esprits
Commenter  J’apprécie         50
Un échec ? Epoustouflant, alors. Retrouver Estelle Moufflarge est un livre d’une force peu commune, doublée d’une très grande subtilité et d’une infinie délicatesse à l’égard des personnes qu’il évoque.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Dans Retrouver Estelle Moufflarge, Bastien François se livre à une minutieuse enquête pour reconstituer la personnalité et le parcours d'une adolescente juive parisienne tuée à Auschwitz. Il propose ainsi un ouvrage singulier, documenté et passionnant, mais aussi plein d'émotion.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
Retrouver Estelle Moufflarge se révèle un grand livre, passionnant de bout en bout, à la fois très personnel et d’une extrême rigueur scientifique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
[Aryanisation des biens juifs ] : La destruction des juifs c'est d'abord cela. La misère imposée. Des années de labeur rayées d'un trait de plume. La famine. Dans l'entreprise de destruction des juifs, tous les éléments s'enchaînent – recensement, spoliation, assassinat -, c'est un ensemble et un continuum. Il y a des degrés différents de brutalité et de cruauté dans l'exécution, mais la violence est constante.
Je ne sais pas – et je ne saurai jamais – comment Estelle pouvait vivre l'ensemble des conséquences attachées à ce stigmate. Mais, dans ce chapitre, je veux prendre le temps de comprendre la façon dont Estelle, avec des centaines de milliers d'autres, a été assignée à cette identité. Pour qu'Estelle soit déportée "parce qu'elle était « juive »", il a fallu quantité d'opérations juridiques et bureaucratiques très complexes, mobilisant tout l'appareil d’État.
Reste que, du côté des grands falsificateurs qu'évoque de façon érudite Vidal-Naquet, il y a aussi les petits escrocs. Et ceux-là me font plus peur encore. C'est par exemple « l'humoriste » Dieudonné qui dans une vidéo de 2013 disait ceci : « Entre les juifs et les nazis, je prends pas partie... je ne sais pas qui a commencé... C'est passé ! Qui a provoqué qui ? Qui a volé qui ? J'ai ma petite idée... »
Estelle n'a volé ou provoqué personne. Elle n'a rien commencé. Elle vivait tranquillement une petite vie pas toujours heureuse quand elle a été mise dans un train pour Auschwitz sans une explication.