Difficile de voir en
Euripide un génial innovateur en ce début de XXIème siècle, lui qui représente l'origine de l'origine, la tranchée de fondation de tout un pan de la littérature occidentale, et pourtant, et pourtant...
Les chiffres commencent à perdre leur signification quand on essaie de se figurer qu'il écrivait il y a environ 2450 ans. Histoire de nous resituer chronologiquement le personnage, on peut dire qu'il vivait au moment où les Celtes commençait à venir s'installer dans ce qui allait bientôt devenir la Gaule celtique. Ça laisse rêveur, non ? de s'imaginer ce que pouvait être le travail et les motivations d'un écrivain dramatique au moment où les Gaulois étaient encore des envahisseurs sur notre territoire !
Bref, revenons à nos moutons de Panurge.
Euripide est le troisième des trois grands tragédiens grecs (
Eschyle,
Sophocle,
Euripide) qui nous sont parvenus. On sait qu'il en a existé d'autres et que, très probablement, comme pour à peu près tous les grands hommes, ils sont à la fois uniques et à la fois la suprême représentation d'une tendance, car rien ne tombe jamais du ciel ou n'apparaît de rien.
Bien sûr il faut replacer les pièces d'
Euripide dans leur contexte religieux, social et politique (apogée de la démocratie athénienne, qui vit d'ailleurs ses derniers moments sous
Euripide) dont j'ai déjà abondamment parlé à propos de
Sophocle et auquel je vous renvois si cela vous intéresse car j'ai peur de lasser par mes redites.
Euripide est celui des trois qui s'est le moins fait dégraisser à l'époque romaine, mais tout de même, seule 18 de ses
tragédies nous sont encore accessibles sur probablement plus de 90 et un seul drame satyrique sur un certain nombre mais qui est sujet à discussion. Pendant l'ère byzantine, trois seulement de ces
tragédies (
Hécube,
Oreste et
les Phéniciennes) étaient autorisées à la représentation. Ses
tragédies s'organisent principalement autour de deux axes : 1) les Atrides, qui concernent la tradition de la maison royale d'Argos, c'est-à-dire en gros la Guerre de Troie et ses suites ; 2) les Labdacides, qui concernent la tradition de la famille royale de Thèbes, soit en gros la famille d'Oedipe et de Dionysos.
Le public auquel s'adressait ces pièces connaissait parfaitement les traditions orales ou écrites (par exemple l'Iliade d'
Homère) auxquelles elles faisaient référence. de nos jours, tout ceci est un peu abscons et intriqué mais avec un peu de persévérance on y arrive tout de même.
Ainsi,
Hélène,
Electre,
Oreste,
Iphigénie à Aulis,
Iphigénie en Tauride,
les Troyennes,
Andromaque ou
Hécube par exemple font partie du groupe des Atrides (du nom d'Atrée, le père d'
Agamemnon et de Ménélas, celui qui s'est fait ravir
Hélène par Pâris) et se comprennent d'autant mieux qu'on sera au point avec la guerre de Troie. Si tel n'est pas le cas et que vous souhaitez tout de même y voir plus clair, je vous conseille simplement de lire le prologue d'
Oreste qui retrace l'arbre généalogique quasi complet des Atrides.
Les
tragédies d'
Euripide font la part belle à la psychologie des personnages, ce qui est sa grande innovation par rapport à ses prédécesseurs. On sait également qu'il a réduit l'importance du choeur et du coryphée (qui joue un rôle d'intermédiaire entre les acteurs et le public), probablement pour renforcer l'empathie des spectateurs avec ses acteurs qui traversaient tant d'épreuves. Il faut donc le voir comme une tentative d'incursion vers plus de réalisme (je sais, cela paraît difficile tellement les pièces nous semblent artificielles de nos jours, mais c'est le petit effort que réclame la bonne intelligence de ces écrits d'il y a plusieurs millénaires).
On pourrait encore discuter longtemps des qualités et des mérites (réels ou supposés) de ces
tragédies, mais je sens que je commence à être longue et j'en terminerais donc avec un tout petit conseil hautement subjectif, à savoir mes pièces favorites, et c'est certainement à
Hécube et à
Oreste que je décerne mes lauriers, mais que valent mes lauriers ? pas grand-chose.