Récit dont le caractère autobiographique est flagrant malgré la transposition romanesque à laquelle l'auteur s'est livré. Il s'agit de l'histoire de la relation existant entre un homme tôt privé de son père et de sa mère, et des circonstances engendrées ou contrariées par l'effet de cette relation. Au fil des pages, un enfant, un adolescent, puis un homme réagissent en fonction de ce lien. Nous assistons aux étapes de ce mûrissement, aux déchirements qu'il suscite, mais aussi à la découverte de la vie par le héros, à ses premiers émois sensuels, à ses liaisons, à son mariage, au décès de sa mère et la prise de conscience nouvelle qui en résulte pour lui.
Commenter  J’apprécie         50
Premier roman ayant reçu le prix Goncourt 1965, ce livre autobiographique est d'une finesse psychologique sensationnelle. Les phrases, souvent interminables, se lisent avec un plaisir inépuisable. le vocabulaire est simple et la langue classique. L'auteur tente d'épuiser les manifestations du besoin d'amour qui le taraude puissamment depuis l'enfance. Cette quête de soi nombriliste fait passer au second plan les événements collectifs traversés, telle la guerre. Dans les derniers chapitres, Borel tente d'éclairer son désintérêt manifeste pour le politique. On lui pardonne volontiers, tellement la relation de son amour pour sa mère et pour ses femmes est réussie.
Commenter  J’apprécie         31
Ma grand-mère pourtant était sans patience, emportée, autoritaire ; en elle aussi, il y avait un étrange mélange d'impérialisme et de faiblesse, de pusillanimité et de passion.Elle m'accordait tout, puis, butée soudain, contrariante, presque agressive, elle s'opposait sans raison apparente, et sans rendre compte jamais de son refus, au désir le plus accessible, le plus modeste. Un amour peut-il jamais être raisonnable ?
Elle m'aimait, comme je le sus plus tard qu'elle avait aimé mon père, à la fois sans mesure et sans tendresse.Mais c'est de tendresse sans doute que j'avais besoin, non de cet amour déréglé qui ne se manifestait à moi que par alternance de vétos et d'abandons.Aussi, ces signes immédiats, sensibles, de la tendresse ou de l'amour, paroles, gestes, caresses, c 'est près de ma mère, me semble-t-il, que je les cherchais.
( Gallimard, 1965, coll Blanche)
Il me semblait que tout ce qui nous fait vivre, ou que nous croyons qui nous fait vivre, ambition, désir, politique, amour des œuvres et des êtres, l'instinct même, en nous, de créer, n'étaient qu'autant d'illusions à quoi nous nous raccrochions, mais non pas même volontairement, à quoi nous étions malgré nous raccrochés, autant de travestissements que prenait en nous cet élan de vivre ou de nous conserver, et qui nous masquaient notre seule vocation profonde, qui était de mourir.
Car si j'avais, sur presque tout, les idées les plus convenues, les mots, d'autre part, comptaient plus pour moi que ce qu'ils traduisaient; ils n'étaient pas tant signes, que sons, images, figures, objets de délectation ou de répugnance mais, de toute façon, fruits naturels du monde, aussi sensibles, aussi aimables qu'un fruit en effet, une herbe, une joue, c'est leur aspect, leur consonance, qui décidaient pour moi de leur valeur ou de leur sens; et lorsque, au hasard, par exemple, d'une lecture, je rencontrais un mot nouveau, je n'en vérifiais jamais la signification précise : je laissais l'apparence pour ainsi dire physique du vocable, sa sonorité, qui parfois m'enchantaient, parfois provoquaient en moi je ne sais quelle mystérieuse antipathie, me dicter une image, ou ébranler en moi une image, une sensation anciennes, qui pouvaient fort bien être sans rapport aucun avec ce mot, mais qui resurgiraient désormais avec lui et qui l'incarneraient en quelque sorte à mes yeux.
En rentrant, ou le matin suivant, bien que je dusse retourner chez elle dans quelques heures, j'écrivis à Geneviève une longue lettre que je luis remis dès que je la revis. Comme si l'écriture eût été un moyen d'expression qui me fût plus naturel que la parole; mais parce que, en réalité n'éprouvant pas de passion pour Geneviève, il m'était plus facile de donner par écrit à mes sentiments une résonance, une amplification, des prolongements qu'ils n'avaient pas et que, pensais-je, après nos baisers de la veille, il était normal qu'elle attendît.
(...)je me souviens seulement de ce qu'on m'a dit et je tâche d'imaginer un peu, comme je l'ai fait si souvent déjà, cet invisible que fût mon père. Ses colères sans doute m'eussent effrayé; j'aurais eu quelqu'un à craindre ou à haïr, à admirer peut-être ; mais il tomba malade dans le même moment, et j'allais devoir m'inventer d'autres dieux.
( Gallimard, 1965)
Le hamburger selon Jacques Borel, extrait de "La République de la malbouffe" .Le DVD de "La République de la malbouffe", documentaire de Jacques Goldstein sur une idée originale de Xavier Denamur, est en bonus du numéro 17 de Rue89 le Mensuel.Plus d'infos sur Rue89 : http://www.rue89.com/node/228921Le site de "La République de la malbouffe" : http://www.republiquedelamalbouffe.com/