Je lis peu, voire jamais, de biographies, essentiellement parce qu'il est possible, en seulement quelques clics, de se faire une idée assez précise de la vie d'une personnalité publique sans avoir besoin d'un livre entier. C'est en général un gain de temps, les biographies n'étant jamais suffisamment littéraires pour m'agréer. Et il est d'ailleurs rare que je veuille connaître la vie entière de quelqu'un : mes recherches se résument souvent à quelques éléments, facilement trouvables en un temps très court. Cependant on m'a offert ce livre, sans doute parce qu'à une époque révolue, grande amatrice de sacs à main, j'en avais acheté un de la marque, à un prix assez exorbitant (sac que j'ai revendu très vite, trouvant finalement assez vulgaire cet étalage d'initiales de luxe).
C'est une biographie complète et quasi exhaustive qu'a choisi d'écrire
Caroline Bongrand. Exhaustive et cependant assez dépourvue de cette objectivité froide des biographes. Elle prend le parti, dès le départ, sans pour autant tomber dans un pathos qui serait pourtant utile à faire de
Louis Vuitton l'un de ces personnages « partis de rien », éprouvés par la vie, un victorieux à la façon du rêve américain, de livrer un récit romancé, d'y insérer les sentiments des différents protagonistes, de sublimer des amitiés. Qui saura vraiment ce qu'a éprouvé
Louis Vuitton à la mort de chacune de ses filles (il en a perdu trois, sur cinq enfants) ainsi qu'à la chute de l'empire? N'importe, cela fait de cette biographie une sorte de roman, la vie du personnage ainsi que l'époque s'y prêtant très bien.
Louis Vuitton naît au début du dix-neuvième siècle dans un village jurassien. Son père, meunier, lui apprend très tôt la menuiserie, les différents bois, les arbres. Il vit une enfance modeste mais heureuse jusqu'au jour où sa mère meurt. Aussitôt une marâtre désagréable la remplace, laquelle fait dormir les enfants du premier lit dans une pièce humide, non chauffée, et les fait travailler comme des domestiques. Cette nouvelle condition ne peut convenir à un jeune homme comme
Louis Vuitton. Sans être orgueilleux, il est fier et à peu près certain de pouvoir être maître de son destin.
Triste de ne pas pouvoir sauver ses frère et soeurs mais résolu à ne pas rester dans cette maison où il est devenu à peu près l'esclave, il part, seulement âgé de quatorze ans (d'autres biographes disent seize ans), à pieds pour Paris. le voyage est long et éprouvant mais n'importe, il vient à bout des 400 kilomètres et arrive à la capitale, seul et sans un sou. Il y retrouve des cousins éloignés qui lui trouvent une place d'apprenti chez un emballeur malletier, où il deviendra emballeur après son apprentissage, puis bras-droit du patron, s'étant rendu indispensable autant pour son sérieux que parce qu'il a réussi à gagner la confiance et l'amitié d'une cliente particulière, une certaine Eugénie de Montijo, future impératrice.
C'est cette dernière, d'ailleurs, qui le conseille :
Louis Vuitton est un travailleur consciencieux, un emballeur soucieux de bien faire, un homme qui peut se faire une place, et à son nom, plutôt que de rester ouvrier emballeur pour le compte d'un autre. Alors, sou après sou, vivant chichement en prévision de son avenir, le jeune
Louis Vuitton achète, un à un, chacun des outils qui lui seront utiles à l'ouverture future de sa propre entreprise d'emballage. C'est en 1954 qu'il ouvre son premier commerce, et c'est opportun : son amie Eugénie est à présent l'épouse de Napoléon 3.
Louis Vuitton devient naturellement l'emballeur impérial, ce qui le propulse au sommet dès le commencement. Cependant, on aurait tort de croire que le jeune
Louis Vuitton est une sorte de chanceux ayant seulement bénéficié de soutiens : il a acquis la confiance de l'impératrice à force de travail consciencieux, et a ouvert son entreprise à force de patience, de rude économies, d'une discipline personnelle l'éloignant de tous les plaisirs.
Porté par le luxe et la pompe - notamment des femmes - durant le second empire, il n'aura de cesse d'inventer de nouvelles malles pour mieux transporter les toujours plus fastueuses robes. Ses malles, rapidement, font le tour du monde. Les inspirations de l'homme font de lui un visionnaire : il anticipe les besoins des voyageurs, ainsi que leurs habitudes. C'est ainsi qu'il décide de s'établir près de la Place Vendôme, ainsi aussi qu'il entreprend de concevoir la malle plate, véritable innovation dédiée aux transports par les chemins de fer. Ses malles rencontrent un tel succès qu'il s'établit à Asnières quatre ans plus tard pour y agrandir ses ateliers. C'est à présent une centaine d'ouvriers (tanneurs, selliers), qui ne confectionnent plus que des malles sur mesure. le carnet de commandes est plein.
Si la chute de l'empire fragilise pour un temps l'entreprise,
Louis Vuitton persiste et s'adapte : les malles se font plus légères, plus spécifiques, plus modernes. Pour la petite histoire, ce n'est qu'en 1888 qu'il choisit le damier beige et brun, voulant se démarquer de la concurrence et que l'on reconnaisse ses malles au premier coup d'oeil. C'est à cette même période qu'il vend (pour ne pas léser sa fille) son entreprise à son fils Georges. Et c'est seulement en 1896, quatre ans après le décès de son père, que Georges Vuitton a l'idée du monogramme légendaire, en hommage à un père qui n'aura jamais vu ses initiales sur les malles Vuitton.
Cette biographie, au-delà du récit de la vie de Vuitton, est une belle peinture de la société du second empire autant que de la modernité qui s'étend et favorise les réussites faramineuses : Haussmann, Pasteur, l'exposition universelle. On notera aussi le parti pris pour l'impératrice Eugénie, qui apparaît telle une sainte, dévouée à son peuple et à l'empereur, mère aimante, amie fidèle. J'ignore quelles sont les sources de l'auteure à ce sujet, l'impératrice Eugénie étant plus connue pour sa superficialité supposée que pour ses hautes qualités morales. Il faut sans doute, pour dresser une biographie orientée d'un homme décrit comme impeccable, qu'il fût entouré d'amis aussi profonds que lui. En cela, cette biographie est plutôt un roman, certes fort documenté, mais un roman comme je l'écrivais au départ.
Reste le style, un peu plat, un peu trop lisse mais pas foncièrement désagréable. Néanmoins rien de fulgurant, aucune tournure originale ni personnelle, aucune phrase superbe. Si l'ensemble est assez propre, il est à peu près dénué de style et s'apparente plutôt à un excellent devoir d'école : on n'a rien à lui reprocher et cependant on ne voudrait pas l'avoir écrit ni tenter de s'en imprégner.