Citations de Alain Yvars (253)
— Quel morceau de peinture, maître !
— Vos remarques me réjouissent, Samuel ! J’ai la chance d’être le portraitiste le plus recherché d’Amsterdam : cela me permet de m’exprimer librement. Je me moque de la critique des bourgeois. Vous savez, depuis que j’ai commencé à peindre, je me bats contre le conformisme, la mièvrerie, les mensonges. J’aime la fantaisie, l’exagération, l’originalité, et même, parfois, l’extravagance. Je pense m’en être approché dans ce tableau...
Pourtant, je sais par expérience qu'il ne faut pas rester trop longtemps dans un musée car la vue se brouille et l'on finit par passer impassible devant des chefs-d'œuvre.
(p. 13)
Mon frère m’a appris que vous fréquentez et appréciez beaucoup les impressionnistes. Ces peintres ont complètement modifié ma vision de la peinture et des couleurs. Si j’étais resté en Hollande j’en serais toujours à peindre dans les tons ocre et sombres de mes débuts.
Pourquoi ce barbouilleur s’intéresse-t-il tant à moi ? Je ne suis qu’une cousette, une habituée de ce bal populaire montmartrois. Deux fois par semaine, je m’y rends pour rire, danser, et débusquer parfois quelques margoulins pour finir la soirée. Est-ce ma robe rose à rayures bleues qui a plu à ce peintre ? […]
La robe rose de Margot écrasée contre son partenaire souriant béatement envoyait des reflets chauds sur son gilet. La polka avait réchauffé l'ambiance. […]
Je tentai de m’intéresser au tableau. […]
- Ces taches sont de la lumière, mademoiselle ! Regardez votre robe, Estelle, elle vibre : le tissu rayé de bleu clair et de rose mêlés est traversé d’ondes lumineuses. Votre visage me fait penser à ces larges corolles de fleurs ouvertes dans les champs, l’été. Cette toile est vivante, Estelle !
Ceux que je rencontrais habituellement ne me parlaient jamais de cette façon.
Nouvelle 6. Bal sur la butte – Auguste Renoir
Dans le ciel, une dernière flamme alluma une lueur qui, curieusement, vint s’agripper aux nénuphars, les transformant en grosses pommes rouge vif luisant comme des phares dans la nuit.
(Conter la peinture
Chapitre 6. Un aquarium géant – Claude Monet)
Georges Seurat – Un dimanche à la Grande Jatte, 1886.
Lettre imaginaire de Berthe Morisot, peintre, à sa sœur.
Renoir ne veut pas entendre parler de cette technique. « Ils s’essouffleront rapidement », m’a-t-il dit d’un ton péremptoire.
Je vais te donner mon avis, Edma : j’aime cette peinture !
Il faut regarder le tableau à bonne distance pour que le mélange des teintes s’effectue dans l’œil du spectateur. Lorsque notre rétine a effectué le travail de recomposition, l’harmonie éclate : les contrastes d’ombres et de lumières se répartissent admirablement et les couleurs, soucieuses les unes des autres par le principe des complémentaires que tu connais bien, vibrent intensément. Lumineux !
Des fous… Ces jeunes gens ne sont pas seulement d’excellents peintres, mais aussi de joyeux lurons à la blague facile. Signac, passionné de canotage, possède une embarcation qu’il a appelé le « Hareng saur épileptique ».
(Chapitre 7. Vous avez dit pointillistes ?)
La danse… je n’avais jamais aimé… Il est vrai que le souvenir de ma première expérience de danseur me traumatisait encore. J’étais bien jeune, une quinzaine d’années, lorsque des amis vinrent me chercher un dimanche pour le bal organisé à l’occasion de la fête du village. Dès mes premières foulées maladroites sur le sol en terre battue, la jeune paysanne qui me faisait face se plia de douleur lorsque, sur un mouvement de jambes hasardeux, elle reçut mon sabot en plein sur le tibia que je faillis lui casser. Ce premier échec avait installé le doute en moi et je n’avais guère eu envie de renouveler l’expérience par la suite.
[…] Tranquillement assis, je me servis un verre de Chablis. Je me croyais revenu à l’époque déjà lointaine de ma vie où je traînais dans les cabarets parisiens, vers la Butte Montmartre. Je ne dansais pas mais j’aimais y retrouver cette gaîté débraillée, grossière er colorée. Cela sentait le vice et la débauche.
Extrait de la nouvelle « Rose – Auguste Renoir ».
Le peintre se surprend à noter machinalement la dégradation des teintes du beau visage rigidifié dans la mort. Un choc de couleurs. Il voit des tonalités de bleu, jaune, gris, mauve. Il estime les ombres, les endroits précis où la lumière se dépose sur le visage, le voile, le lit. Il perçoit la successions des valeurs. La face ravagée de Camille devient une réflexion picturale. C’est plus fort que lui, malgré sa honte, un besoin organique qu’il ne maîtrise pas le submerge.
Il prend une toile vierge suffisamment grande dans le sens de la hauteur ainsi que son équipement de peintre. […] C’est le plus beau portrait qu’il ait fait d’elle…
[…] Sous son voile transparent, Camille lui souriait…
Servez-vous de la couleur pour ressentir.
Les miches de pain sont peintes avec des teintes terre et ocre… Bien ! Mais qu’a fait l’artiste ensuite ? Avec la pointe du pinceau, il a rajouté sur ces couleurs de base un fourmillement de petites touches légèrement plus claires dans les parties ombrées. Dans les zones où l’éclairage est plus fort, le pain est éclaboussé de taches brillantes carrément blanches, juxtaposées, qui accentuent l’intensité lumineuse…N’est-ce pas de l’impressionnisme, ça ?[…]
Le procédé se répète sur le pot bleu foncé criblé de points bleu pâle et blancs. Les bords de la cruche rougeâtre sont perlés d’un blanc presque aussi vif que le liquide qui s’en écoule. Partout vous retrouverez la touche fragmentée : sur la table, la corbeille à pain, le tablier bleu de la femme, ses bras, son bonnet…
(Fabuleuse Laitière de Johannes Vermeer)
Je marchai lentement, impressionné par le spectacle d'ombre et de lumière. En Provence, il m'arrivait de ressentir des émotions devant la nature qui me rendaient proche de l'évanouissement. Petit à petit, le soleil s'élevait dans un ciel azur déserté de nuages. Les brumes sur l'eau disparaissaient. Dans un renfoncement de la rive, des barques et de nombreuses yoles longues et minces, de toutes couleurs, étaient amarrées.
Deux skifs effilés passèrent à grande vitesse sous les encouragements des barreurs qui imprimaient la cadence. Les hommes, habillés de maillots rayés, brassant l'eau à grands coups de pelles, grimaçaient dans l'effort avec "han" retentissants. Les skifs disparurent derrière une rangée d'arbres. Des vaguelettes agressives s'écrasèrent bruyamment sur les bateaux immobilisés, soulevant les coques de secousses ondulantes. Dans l'eau, les reflets colorés des embarcations s'effacèrent un court instant, puis le calme revint.
Pages 127/128
Je veux créer un art qui sera celui de l’avenir… Le portrait moderne est ce qui me passionne le plus dans mon métier, celui qui permet de révéler l’âme du modèle avant son apparence. Je voudrais faire des portraits qui apparaîtront aux gens qui les verront dans un siècle comme des apparitions…
Son œil n’est plus qu’interrogation lorsqu’elle examine l’homme de sa vie. Elle voudrait comprendre. D’un air de reproche, elle l’observe sans bouger, silencieuse. Le peintre dépose ses pinceaux, hésite un instant. Elle comprend qu’il désire un dernier avis, se lève, approche et scrute le portrait, son portrait. « Ne change rien », dit-elle d’une voix faible. Son regard retient les larmes et leur amertume.
Claude Monet - « Portrait de Camille aux violettes », 1877.
A distance, la première impression est une harmonie en bleu et jaune. La dentellière est penchée, attentive sur son ouvrage. La lumière vient de la droite. [...] Vu de très près - je comprends mieux maintenant les abeilles ! - des gouttelettes de peinture essaiment les fils rouges et blancs ainsi que le col du corsage.
Je peins la vie comme je la ressens. Ma méthode : peindre en une seule fois en se donnant tout entier ; exagérer l’essentiel et laisser dans le vague, exprès, le banal. Un tableau doit être autre chose qu’un reflet de la nature dans un miroir, une copie, une imitation. J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse fatigué.
Encore une toile qui va prendre du temps à sécher, me dis-je ? « Les tableaux empâtés sont comme le bon vin, il faut que cela cuve longtemps, le disait souvent Gauguin à Arles » Cette expression me fit sourire.
Depuis mon retour je voyais le Nord avec un œil différent. Les couleurs environnantes étaient douces, sans agressivité. Rien à voir avec celles du Midi si intenses qui m’éblouissaient parfois.
Eugène se taisait, attristé par la mélancolie que son tableau inspirait à Louis-Auguste. Celui-ci finit par dire, fataliste :
– Eugène, une nouvelle fois, comme souvent dans notre histoire, c'est le petit peuple qui se bat, mais c'est toujours les puissants qui gagnent !
Delacroix vint vers son ami et le prit tendrement par les épaules.
– Tu as raison Louis-Auguste. Mais, à chaque nouveau combat, ils continuent d'espérer…
(p. 41)
Etrange bonhomme, pense Vincent. Il range son matériel et examine la toile à distance. Georges avait parfaitement senti la souffrance contenue de cette église. Était-ce sa propre souffrance, celle qui l'étreignait en Provence, au point d'hurler parfois ? Non! C'était autre chose, une sorte de cri : un cri humain....
Depuis son arrivée à Auvers, Vincent était heureux. Un sentiment d'allégresse montait en lui. Il le sentait, les murs de cette église allaient bientôt s'ouvrir. La plainte allait se transformer en chant.
page 77
La lune, gros phare immobile dans le ciel noir, allumait sur les flots des lueurs scintillantes.
Des jets d’écume giclaient en l’air.
Un violon jouait un air entraînant.
Vues de près, les taches se transformaient en jeunes filles. Étroitement enlacées, elles dansaient le long du rivage. Leurs longues robes flottaient autour d’elles, les unissant dans un même drapé.
Les vagues se soulevaient et redescendaient au même rythme que la musique.
Les jeunes femmes, les yeux fermés, étaient seules au monde, transfigurées.
Winslow savait qu’il tenait le tableau de sa vie. Retrouverait-il un jour une image d’une telle puissance poétique ?