Contrairement aux idées reçues, la science-fiction n'est pas tant une littérature du futur qu'un reflet de notre présent.
À ce titre, nombre de romans récents parlent de pandémies et de réchauffement climatique, deux sources de terreur pour les générations à venir. Si
Kim Stanley Robinson nous proposait des solutions radicales dans
le Ministère du Futur et si
Chuck Wendig nous prenait au piège de son palpitant thriller dans
Les Somnambules,
Sequoia Nagamatsu choisit une autre voie. Diplômé en anthropologie, l'américain a également vécu deux ans au Japon avant de se mettre à l'écriture.
Après un premier recueil de nouvelles en 2016, il se fait remarquer avec la publication de son premier roman — en réalité un fix-up de nouvelles — en 2022 qui recoupe justement pandémie et changement climatique.
Plus haut dans les ténèbres trouve finalement son chemin dans l'Hexagone grâce aux éditions Seuil sous une traduction signée
Henry-Luc Planchat.
Plus près de toi, toujours
Autour de quatorze histoires courtes,
Sequoia Nagamatsu raconte une fin du monde qui n'advient pas, une fin du monde qui commence en Sibérie lorsqu'une équipe de chercheurs tombe par hasard sur le cadavre gelé d'une Néandertalienne suite à la fonte de glaces causée par le réchauffement climatique. En chutant dans cette grotte, Clara trouve la mort et son père, le Dr Cliff Miyashiro, se rend sur place à la fois pour examiner cette fabuleuse découverte mais aussi pour faire le deuil d'une fille qu'il ne comprenait plus. Petit à petit, une menace émerge de cette sépulture millénaire, un virus endormi qui se réveille et va contaminer les membres de l'équipe…puis le monde.
Et pourtant, dès cette première nouvelle, on sent que l'auteur n'est pas tant là pour montrer le déroulement d'une pandémie que pour s'intéresser aux répercussions intimes d'un désastre. Alors que la contamination devient évidente, Cliff parle de sa fille, Clara, et de sa relation complexe envers cette jeune femme qui a choisi de combattre le changement climatique au lieu de contempler impuissante son avènement…
Dès le second récit, La Cité des rires,
Sequoia Nagamatsu touche au sublime en imaginant un parc d'attractions créé dans un seul et unique but : l'euthanasie des enfants. On y suit le quotidien difficile de Skip, petit humoriste raté, qui endosse un costume bariolé afin d'accompagner les derniers instants de ces gamins condamnés. Ici, le rire est la règle avant le silence final sur le Chariot d'Osiris, immense montagne russe de la mort.
C'est au cours de ce sinistre travail que Skip rencontre Dorrie et son fils, Fitch. Une relation d'amitié se noue entre eux alors que la fin semble déjà écrite. L'horreur silencieuse de l'endroit ainsi que tout ce que cela dit de notre difficulté à affronter la mort, surtout lorsqu'elle concerne un enfant, transforme le texte en un véritable chef d'oeuvre, une merveille sensible et poignante qui arrache le coeur dans les dernières lignes, dans la dernière montée. Tout du long,
Sequoia Nagamatsu tisse une ample réflexion sur notre capacité à regarder la fin, à accepter l'inévitable et à nous soutenir malgré la tristesse, malgré la colère. Des éléments centraux pour la suite qui définissent au mieux ce que tente de dire
Plus haut dans les ténèbres.
En souvenir de nous
Parfois, le roman vire au surréaliste, au fantastique. Comme lorsque des patients dans le coma se retrouvent dans un insondable néant pour regarder le passé des uns et des autres à travers d'immenses sphères.
D'autre fois, la fiction dépasse la science avec ces cochons qui servent de réservoirs à organes pour les patients en attente de greffe et où l'un d'entre eux acquiert la possibilité de parler par télépathie et de penser.
Ailleurs encore, c'est le lien entre un homme, son fils et des cyberchiens qui permettent de conserver des bribes de souvenirs d'une mère et épouse emportée par la pandémie.
Sequoia Nagamatsu regarde ce qu'il reste après la mort de ceux que l'on aime, comment l'être humain tente de s'attacher à des choses plus ou moins grotesques pour faire vivre le souvenir le plus longtemps possible.
Ainsi, la science-fiction en elle-même passe au second plan. Ce n'est pas tant l'exploit constitué par un cochon qui pense que ce qu'il représente pour le chercheur qui s'en occupe, ce n'est pas l'incroyable technologie derrière le cyberchien capable d'imiter à la perfection un compagnon à quatre pattes, mais ce qu'il offre en retour à ceux qui pleurent leurs disparus. Un objet d'attachement, transitionnel. Un objet de deuil.
Au gré des récits, l'américain parle de regrets et de blessures secrètes, de façon d'affronter le réel, en fuyant pour bosser dans un hôtel funéraire ou en égrénant un compte à rebours musical avant la fin.
Et surtout par le sens du don de soi, du sacrifice.
Ce moment où l'intérêt de l'autre prend le pas sur celui de l'individu.
On croise notamment un scientifique avec un trou noir dans la tête qui s'en servira ensuite pour trouver un moyen d'envoyer les hommes dans l'espace. Ce qui n'est pas bien différent de ce qu'a fait Clara au début du roman pour combattre le changement climatique en abandonnant jusqu'à sa propre famille, ou ce que fera un cochon devenu conscient et sensible en sacrifiant ses organes pour qu'un autre vive.
Plus haut dans les ténèbres tourne son regard vers l'être humain et y trouve, encore, de la beauté.
Les détails de l'infini
Mais ce qui achève véritablement de convaincre le lecteur, c'est que
Sequoia Nagamatsu n'est pas là pour conter une apocalypse puisqu'il choisit d'y trouver un remède. Il choisit une humanité qui gagne.
En réalité, l'américain regarde les conséquences de cet évènement terrible, l'empreinte qu'elle va laisser sur la société et l'être humain, de quelle façon la pandémie rendra l'homme meilleur… ou pas.
C'est dans l'intime que Nagamatsu est le meilleur, le plus grand et le plus pertinent. Lorsqu'il parle de familles brisées et de générations qui ne se comprennent plus, de racines difficiles à retrouver et de peurs complexes à gérer. Que l'on soit un voisin vivant en reclus ou une immortelle qui semble avoir déjà tout vécu.
De façon surprenante,
Sequoia Nagamatsu conclut son récit par une histoire presque mythologique, déroulant un sense-of-wonder complètement inattendu mais fantastique dans son exécution, un sense-of-wonder qui finit par rapprocher l'immense et le dieu de l'humain et de l'infiniment petit : nous, êtres incohérents doués d'amour.
Hier rejoint demain et l'auteur achève un récit douloureux qui montre encore une fois que la science-fiction est avant tout une aventure humaine.
C'est au plus profond du drame que se révèle la beauté et la fragilité de l'homme.
Sequoia Nagamatsu imagine une fin du monde qui n'en est pas vraiment une, une fin où le deuil devient l'élément central du récit. Incroyablement beau et sensible,
Plus haut dans les ténèbres cherche l'espoir après la fin, encore et encore.
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