Je baissais la tête en signe de respect. Autrefois, c'est ainsi que nous considérions la mort. Mais quelque chose s'est brisé en nous quand nous n'avons plus été capables de gérer le nombre des morts et de leur dire adieu. Les entreprises de suspension cryogénique ont proliféré, ainsi que les hôtels mortuaires, ou les sociétés qui préservent vos défunts dans des positions amusantes, ou encore les compagnies de transport qui promettent un départ "naturel" des morts.
En sortant de la voiture, j'ai eu l'impression d'arriver dans un pénitencier qui dissimulait sa véritable fonction. Il restait des clôtures de fil de fer barbelé, et même si les vieilles plaques de balisage avaient été retirées des murs, on distinguait encore clairement le contour des mots PRISON D'ETAT.
Même de notre quartier résidentiel, il était difficile de ne pas voir les tours funéraires les plus proches. C'était la même chose à Chicago ou dans n'importe quelle grande ville – on trouvait partout des gratte-ciel convertis en nécropole. Tout le monde semblait se rendre à des funérailles ou en revenir. La mort était devenue un mode de vie.
Pas de bavardages ou d'échanges de potins entre voisins. Chacun de nous portait en permanence des funérailles dans son coeur et dans son esprit, gardait les yeux fixés sur le sommet d'Osiris.
La peau de mes bras me paraissait anormalement pâle, presque translucide, comme si je me transformais en une créature des profondeurs marines.
Les épidémies ne sont pas si mauvaises. Elles permettent une réinitialisation, une épuration, c'est une occasion de corriger les choses. Mais les gens n'écoutent jamais.
Pendant le dégel, le sol de Sibérie était comparable à un plafond sur le point de s’écrouler ; une surface détrempée par la glace fondue et jonchée des débris de la préhistoire. Le cratère de Batagaika, long d’un kilomètre, s’était encore agrandi avec l’élévation de la température, comme si un dieu avait tiré une fermeture éclair dans les marécages couverts de neige afin de dévoiler des rhinocéros laineux et d’autres bêtes aujourd’hui disparues.