Neuf textes courts, drôles et brûlants pour éviter de statufier l'art au "mauvais" endroit.
Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/09/07/note-de-lecture-la-poesie-nexiste-pas-eugenio-montale/
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"Et les modernes ?" lui demandai-je en lui versant jusqu’à la dernière goutte un ultime fond de chianti supérieur. "Oh, les modernes, cher collègue, dit Ulrich les yeux brillants, les modernes, c’est nous qui les faisons par notre collaboration. Ils ne procurent jamais une impression de stabilité ; nous sommes trop partie prenante pour être capables de les jauger. Croyez-moi, la poésie n’existe pas ; quand elle est ancienne nous ne pouvons nous identifier à elle, quand elle est nouvelle elle rebute comme toutes les nouveautés : elle n’a pas d’histoire, pas de visage, pas de style. D’ailleurs, d’ailleurs… une poésie parfaite serait comme un système philosophique qui tiendrait debout, ce serait la fin de la vie, l’explosion, l’écroulement, et une poésie imparfaite n’est pas de la poésie. Mieux vaut s’attaquer… aux filles. Mais elles sont d’un méfiant à Terranova, vous savez ! Dommage." (Il répéta en français : C’est dommage.)
Il se leva, secoua la fiasque pour voir si elle était bien vide, et en s’inclinant il me souhaita bonne digestion de son Hölderlin. je n’eus pas le courage de lui dire que j’avais cessé de travailler l’allemand depuis deux ans. Dans le couloir, il mit de travers son calot militaire d’où s’échappait une touffe de cheveux raides et s’inclina encore. Un instant après, il fut avalé par l’ascenseur.
Je m’arrêtai près de la chambre du couloir et j’ouvris sans bruit. Mes hôtes étaient toujours dans le noir.
"Ton Allemand est parti ? demanda Bruno. Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?
– Il m’a dit : la poésie n’existe pas.
– Ah !"
Giovanni se tourna sur une épaule et se mit à ronfler. Ils dormaient à deux dans un lit minuscule.