This is the end… (again) En tout cas, la fin du monde tel que nous le connaissons. Un jour, les avions cessent de voler. La société se délite. Pourquoi ? Nul ne le sait et nul ne s'en préoccupe. Car il s'agit à présent de survivre. En effet, les vieux antagonismes, les vieilles haines ressortent. Da'Naisha est obligée de fuir sa maison, son quartier, agressée par une bande de suprémacistes blancs persuadés de la justesse de leur combat archaïque.
Le post-apocalyptique n'est ici qu'un prétexte. On apprend dans les premières lignes que la société a fini par tomber, minée par les erreurs, le réchauffement climatique. Avec comme symbole la chute des avions. Mais l'autrice ne s'appesantit pas sur les causes. Elle les effleure à peine. Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Elle veut nous parler d'une femme et de son destin. D'une descendante de
Thomas Jefferson et d'une esclave. D'un blanc président (le troisième) des États-Unis, un des principaux rédacteurs de la déclaration d'indépendance de ce pays et d'une noire, esclave au service de ce même homme. Donc soumise à sa volonté. Peut-il être question d'amour ici ? Cela me rappelle le questionnement posé dans le très fort et capital
Liens de sang d'
Octavia E. Butler. Car Da'Naisha est l'arrière-… -petite-fille du « grand » homme. Quel lien peut-elle avoir avec cette figure historique ? D'autant que cette filiation a été reconnue officiellement : la grand-mère de Da'Naisha a eu droit à une cérémonie, avec les autres descendant.e.s. Et même si tout cela reste peu clair, peu apprécié de pas mal de personnes, Da'Naisha sent comme un lien. Aussi, quand elle fuit la menace armée avec un petit groupe de voisins, elle se dirige d'instinct vers l'ancienne demeure de
Thomas Jefferson, devenue musée, où elle a travaillé comme gardienne. Symbolique.
Mon nom dans le noir est avant tout une histoire de personnages et de leurs liens, de leurs interactions et de leurs questionnements. Ces êtres d'encre et de papier m'ont, dans l'ensemble, paru réussis. Ils sont entiers, ont des avis tranchés, mais restent crédibles, sans manichéisme. Malgré quelques stéréotypes, heureusement atténués par la suite. Dans des situations d'urgence, on en revient aux fondamentaux, à ses croyances les plus brutes, les plus ancrées. Aux haines les plus fortes. Et on assiste donc à des échanges importants, sur des sujets importants. Mais tout cela ne pèse pas sur le rythme du récit.
Car, si la narration sait prendre son temps, elle ne traîne pas en longueur. le roman ne fait qu'un peu plus de deux cents pages. Donc il faut aller à l'essentiel. Comme je l'ai écrit plus haut, ce qui intéresse
Jocelyn Nicole Johnson, ce sont les interactions entre les personnages, leurs relations. Entre eux et aux lieux. Les scènes d'action sont donc rares et assez rapides. On en voit les effets, mais l'autrice ne s'attarde pas sur les moments de violence. Vie et mort sont tragiquement, classiquement mêlées.
Ce roman est pour moi le constat d'un échec. Il est en effet tragique de voir que l'on ne peut pas imaginer un avenir commun entre noirs et blancs aux États-Unis. Dans tellement d'oeuvres de fiction, la moindre étincelle est prétexte à explosion. À lire ce roman, le noirs vivent toujours avec la crainte de voir leurs voisins blancs se retourner contre eux. Et une période de répression, d'esclavage, revenir. le passé a été dur et a laissé des traces qui semblent indélébiles. D'ailleurs, la présence d'un blanc dans un groupe tout d'abord composé uniquement de noirs entraîne des réticences, des refus difficilement surmontés. Que ce soit comme ça à l'époque où
Octavia E. Butler écrivait (à la fin du XXe siècle), c'est déjà triste. Mais qu'en 2023 (2024 maintenant), ce constat soit le même, avec la même violence (qu'on pense à la rage contenue dans
L'Architecte de la vengeance de
Tochi Onyebuchi ou le moins réussi
Babel de
R.F. Kuang). Mais sans aller jusque là, l'opposition est toujours présente, plus ou moins forte. Comme dans les récits de
Colson Whitehead, par exemple (
L'Intuitionniste). Et cela se prolonge avec les amérindiens chez
Louise Erdrich (
La Sentence). Pas rassurant, tout cela. Surtout quand on songe aux débats interminables, violents et passionnés menés en France avec la loi sur l'immigration, avec les faits divers montés en épingle par des médias avides de sensationnalisme et d'audience. Si l'on en croit ces récits, l'avenir est bien sombre.
Mon nom dans le noir est un roman fort : il campe des femmes et des hommes face à la haine qui resurgit sans cesse. Il montre qu'on peut résister, qu'il faut résister. Mais que les forces de la colère sont fortes et reviennent sans cesse, malgré tout. Un livre pessimiste, mais utile en ces temps de troubles.
Lien :
https://lenocherdeslivres.wo..