Attention, OVNI en approche dans le paysage littéraire actuel !
Passionnée de mythologie grecque depuis l'enfance, j'étais curieuse de redécouvrir le mythe de Persée et de Méduse. Dans cette réécriture,
Natalie HAYNES prend le parti des Gorgones et nous découvrons ainsi les faits à travers leur regard.
En dépit de leurs défenses de sanglier, de leurs chevelures faites de serpents et de leurs ailes, Euryale et Sthéno se prennent vite d'affection pour ce bébé échoué sur leur rivage. Leur soeur abandonnée là, sans explications, du fait de sa mortalité et de son apparence presque humaine. Méduse grandit à leurs côtés, heureuse et insouciante, dans un quotidien fait de jeux avec leurs moutons, d'ébats dans l'eau et de questionnements incessants. Bientôt, la fillette devient jeune femme et attise la convoitise de l'avide Poséidon sans jamais l'avoir recherchée. Cette rencontre marquera le glas de sa destinée.
Le portrait des Gorgones dressé par l'autrice en fait des personnages attachants, bien plus humains que certains hommes comme Persée. Les liens qui unissent les trois soeurs semblent indéfectibles, et après la malédiction lancée par Athéna sur Méduse,
Natalie HAYNES nous offre des dialogues forts sur les sujets de la différence, de l'ouverture d'esprit et de l'acceptation de soi. Les autres protagonistes sont toutefois nettement moins nuancés. Zeus reste fidèle à lui-même, courant après toutes les femmes sur Terre et dans l'Olympe au grand désarroi de son épouse Héra. Mais Athéna en fait les frais et semble perdre sa sagesse légendaire (et par là-même toute sympathie de notre part). Prête à tout pour assouvir sa vengeance, y compris à punir celles qui n'y sont pour rien, elle n'est qu'un condensé de colère et de frustrations. Quant à Persée, à peine sorti des girons de sa mère, il apparaît comme un homme faible et couard, qui ne cesse de pleurnicher au lieu d'agir. L'autrice dépeint un monde brutal où les hommes et les dieux dominent, quitte à prendre de force ce qu'ils ne peuvent conquérir par le respect et la sincérité, introduisant une vision féministe bienvenue dans les affres de l'Antiquité.
Cette réécriture n'en reste pas moins pertinente puisque le mythe du Gorgonéion permet ce nouvel angle d'approche. Elle reste fidèle à l'originale, toutes les grandes lignes de l'épopée y sont retranscrites, de la Grèce à l'Éthiopie, et mises en scène avec intelligence. L'autrice saute d'un personnage à l'autre de chapitre en chapitre. Cette lecture peut donc potentiellement déstabiliser, en particulier les novices en mythologie grecque qui pourraient ainsi se perdre dans le dédale de lieux, d'époques, de créatures et de prénoms. Pourtant, petit à petit, les pièces du puzzle se mettent en place. Tout s'imbrique en temps et en heure pour nous offrir un récit épique, amer et fataliste. Car en nous encourageant à considérer Méduse comme un être à part entière, loin de ses soi-disant difformités, une soeur aimée et aimante, le sort qu'elle connaît nous fait considérer les prouesses de Persée d'un oeil nettement moins admiratif. J'ai beaucoup apprécié cela.
Natalie HAYNES renverse les classiques tout en témoignant de sa passion en la matière. Sa plume est riche et précise, mais conserve malgré tout une certaine distance avec le lecteur. Et ce, en dépit du Quatrième Mur qu'elle cherche à percer grâce à quelques chapitres épars donnant voix aux serpents de Méduse, à la mer, à une oliveraie,…
Natalie HAYNES n'a pris aucune liberté avec cette histoire telle qu'elle a été racontée à travers les âges ; elle en a respecté chaque ligne. Mais elle est cependant parvenue à s'approprier le récit pour dénoncer l'injustice et les ravages du patriarcat tout en faisant un très beau message d'amour, de tolérance et de remise en question.
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