« La littérature n'est pas un produit de consommation »
- Citation de
Pavel Hak
«
Trans » comme
Transformation,
Transmutation, ou comme
Transfert des populations.
«
Trans » est une fresque époustouflante sur les nouvelles réalités du monde actuel (ou à venir), avec ses tyrannies ultrasécuritaires, ses flux migratoires, ses clandestins, son exploitation des corps, ses trafics, ses corruptions, ses épidémies, ses virus.
Le roman n'est jamais aussi réaliste que lorsqu'il se permet d'être
visionnaire !
Pavel Hak choisit délibérément de nourrir son roman de violence et de sexualité. Il procède par clichés, empruntant volontiers certaines circonstances aux pires des reportages ! Son roman est une cavalcade hyper rapide à engloutir comme un alcool fort qui a un effet immédiat sur le sang !
Le récit s'organise selon plusieurs voix, victimes ou bourreaux, au coeur d'un enfer où l'action se substitue au choix, où la folie meurtrière et la politique se confondent.
Le roman commence par la description d'un état totalitaire qui n'est pas sans nous rappeler le XXe siècle, ou les états totalitaires existants, mais qui peuvent préfigurer aussi l'état d'insécurité qui menace peut-être l'humanité tout entière.
Wu Tse meurt de faim dans un pays asiatique qui n'est pas nommé, mais qui pourrait être, par exemple, la Corée du Nord. Pour fuir l'oppression et la misère qui le conduisent au cannibalisme, Wu Tse décide de rejoindre une terre plus accueillante, sans doute l'Europe. Commence un périple où chaque lieu de passage, chaque
transit, sera marqué par une
lutte à mort contre les différents visages d'un système coprophage. Il restera sans cesse déterminé à vaincre la mort.
Wu Tse est donc ce mutant du pire : affamé, il devient cannibale ; tueur, pour survivre ; il aime, alors il viole !
Wu Tse va se mettre en rapport avec un passeur. Il y a déjà cette catégorie abominable de gens qui exploitent la misère humaine et il va se retrouver de l'autre côté, après d'ailleurs avoir passé une zone frontalière où se déroulent tous les trafics. Et de l'autre côté, ça n'est pas tellement mieux !
Wu Tse devient une sorte d'esclave finalement. En effet, les gens le
transforment en une sorte de force de travail pure. Ce système est un dispositif de pouvoir qui a tendance à déshumaniser les gens, à les
transformer en marchandise ou en forçat.
Et puis il y a une figure féminine assez magnifique qui s'appelle Kwan, qui gagne sa vie comme elle peut, en se prostituant, et qui néanmoins est parée de toutes les grâces. Ce roman est aussi une histoire d'amour, un amour, qui est ici respiration plus que lueur d'espoir, et qui s'exprime de la plus violente des façons. C'est une structure sous-jacente au livre. Cette dimension est très importante.
Kwan aura subi toutes les avanies, toutes les humiliations.
Wu Tse, lui, aura traversé les cercles des enfers, mais néanmoins ils vont se retrouver…
Et
Pavel Hak nous laisse apparaître qu'après tout, après tout… l'espoir, c'est important !
Alors que nous voyons des populations entières contraintes aux pires conditions de vie débarquer sur les plages d'Europe,
Pavel Hak isole le drame individuel intolérable de l'émigrant : jouant sa vie à chaque instant, cet homme, cette femme n'a pas de choix à effectuer, il n'accepte pas la mort, c'est tout. Il semble que beaucoup, chez nous, confortablement installés dans un salon ou un café, oublient parfois cet état de fait lorsqu'ils discutent valeureusement de flux migratoires à réguler, de raison garder et de quotas à respecter. Et cette cruauté indicible, «
Trans » parvient à l'exprimer mieux que n'importe quel roman réaliste, justement à travers l'exubérance de l'anthropophagie, du viol et de quelques créatures surgies de l'île du docteur Moreau !
La sauvagerie, les viols, les meurtres, la morale, sont emportés par une outrance descriptive qui frappe, et c'est là le plus surprenant pour nous lecteurs !
C'est le deuxième livre de
Pavel Hak que je lis après «
Lutte à mort », et je suis toujours aussi fasciné son style brut et imposant, et par le fait que ses romans échappent aux règles narratives habituelles. Il écrit des romans courts et nerveux, concentrés d'idées tendues entre elles par une langue dont les excès témoignent à la fois de la maîtrise et de l'instinct. Pas un mot de trop, rien de superflu. L'écriture est relativement déroutante. le texte est sans concession. Scansions et descriptions pornographiques alternent nerveusement avec la réflexion métaphysique, mais l'ensemble dégage une cohérence intrigante, étonnante !
Pavel Hak semble très fasciné par les combats idéologiques de notre époque, et ses enjeux.
Il expose une conception de la littérature du détail autant que de la vision, voulant montrer le monde dans sa complexité, ce qui suppose de trouver une forme suffisamment complexe pour le refléter.
« Il ne s'agit pas forcément de dire quelque chose, mais de l'interroger, de le dépasser, de toucher, d'émouvoir, de faire réfléchir. »
Certains passages sont violents et dérangeants, notamment sur le cannibalisme et la sexualité, mais il demeure toujours ce pragmatisme et cette simplicité de la narration, qui occasionne le fait que si l'on est choqués par les situations décrites, l'on n'est pas choqués par les procédés de descriptions ni par l'intention de l'auteur. Il s'agit pour lui de nous raconter l'histoire de la monstruosité humaine, dans la survie comme dans les systèmes horribles qu'il a mis en place. A travers la fiction, c'est bien la violence de la réalité que
Pavel Hak nous conte, à travers des récits parfois à la limite de l'insoutenable.
Pavel Hak, dramaturge et écrivain, est né en 1962 en Tchécoslovaquie. Comme beaucoup d'intellectuels, il a quitté son pays à cause des problèmes qu'il rencontrait avec le régime politique au sein de son pays d'origine. Il s'est installé à Paris en 1986 pour y faire des études de philosophie à la Sorbonne. Il écrit directement en français. Il a reçu pour «
Trans », le Prix Wepler Fondation La Poste en 2006, un prix dont tout le monde reconnaît l'indépendance, un prix important pour lui, un prix qui a aussi récompensé des écrivains comme
Antoine Volodine, pour ne nommer que lui.