Un très bel ouvrage à la plume intensément précise. Comment ne pas voir en ce livre des questions personnelles qui touchent tout jeune, devant se battre ou se fondre dans une culture religieuse ? Un livre tout en réflexivité et historicité qui fait réfléchir aux questions de déterminisme et de parcours de vie.
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Qu’apporte la philosophie à l’existence ? Que change-t-elle à nos vies ? Dans son brillant essai Penser contre soi-même, le normalien Nathan Devers apporte une réponse très personnelle à ces questions ressassées […]
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L'auteur et philosophe, qui publie Penser contre soi-même (Albin Michel), analyse la révolution de l'intelligence artificielle à travers le spectre de la littérature.
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En un récit trépidant et captivant, le chroniqueur de Transfuge Nathan Devers nous convie à suivre les aventures de son esprit, de la religion à la philosophie.
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Dans "Penser contre soi-même", un récit autobiographique époustouflant, [l'auteur] raconte la tentation rabbinique de son adolescence.
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Ce livre foisonnant éclaire comme nul autre les trajets obscurs d’où émerge un désir d’être philosophe. Sa plus intéressante leçon est sans doute de faire entrevoir comment l’existence forge en silence la pensée.
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Un ouvrage inattendu et pour le moins salvateur qui désigne les contours même de l’existence inachevée en flirtant volontairement avec certains usages surannés sans pour autant bouleverser les procédés littéraires et les procédures romanesques
Lire la critique sur le site : Actualitte
Ils m'ont appris une chose, mais laquelle ! Que, contrairement au mythe de l'imbécile heureux, la bêtise est intrinsèquement haineuse. Essentiellement, nécessairement, perpétuellement triste - et donc vouée au mal. Il n'existe pas , sur Terre, une seule personne qui soit à la fois bête et bonne. Que ses mains soient sales ou propres, qu'elle soit innocente ou coupable, la bêtise est toujours criminelle. Et celui qui le sait, et celui qui le voit, se retrouve à jamais exclu des extases collectives.
Si nous consentons à ce que notre esprit soit jugulé par des directeurs de conscience, c'est de notre faute autant que de la leur. Il y a une facilité à ne pas réfléchir par nous mêmes, un plaisir de la soumission mentale. Apprendre à se détacher des tutelles étrangères ne correspond à une révolution soudaine, mais à une propagation lente, tortueuse, difficile. En ce sens, les lumières sont une épreuve autant qu'une fête : une traversée intellectuelle ou chacun doit s'engager, à toutes les époques. Dans cette aventure où la pensée devient adulte, elle doit se faire violence pour renoncer à la facilitée sa servitude
Je ne me suis jamais senti aussi seul que lors du mois qui suivit ma rupture avec la religion. Mes préjugés, ma vie et mon identité : n'avais-je pas tout quitté pour la philosophie ?
[chapitre 4 de l’épilogue]
Une première solution serait de soutenir que, pour penser par soi-même, il faut commencer par essayer de déconstruire toutes les entraves dont dépend la pensée – et donc de s’en prendre au « soi » qu’on est avant de méditer. Cette tâche est infinie, à l’image de la variété des contraintes qui pèsent sur notre esprit : physico-chimiques (corporelles), historico-géographiques (contextuelles), sociales, familiales, religieuses, idéologiques, mais aussi psychologiques, biographiques, affectives, instinctives… Par-delà leur diversité, ces facteurs tiennent tous à un fait brut : nous n’avons pas choisi d’exister. Nous n’avons pas non plus sélectionné notre point d’entrée dans le monde, qui est à la fois décisif et relatif, incontournable et contingent. Penser contre soi serait ainsi un travail de désobstruction perpétuel. Cette tâche, personne ne l’achèvera jamais, mais est-on seulement capable de s’y aventurer ? Elle paraît, en effet, mener vers une aporie : quand j’essaie de me détacher de mes déterminations, cette volonté n’est-elle pas également le fruit d’autres déterminations ? Pour qu’un « soi » se retourne contre l’image qu’il se fait de lui, il faudrait qu’un autre soi le soumette à un examen critique, qu’un quatrième déconstruise le troisième, qu’un cinquième conteste le quatrième… Régression à l’infini qui conduit à une certaine forme de désespoir. Au constat désabusé que nous n’aurons jamais raison de notre finitude : quand je prétends penser contre moi-même, n’est-ce pas une autre version – un autre masque – de moi-même qui pense ? Ne suis-je pas, toujours, l’otage de mon moi ?
Et s’il s’agissait plutôt de désobstruer le « soi » ? Non pas de penser à rebours de soi-même, mais contre l’idée selon laquelle on serait un « soi-même » ? Car cette notion est auréolée d’une certaine confusion. Que nomme-t-on le moi ? Il y a déjà chez Descartes une différence entre le moi biographique – celui qui a étudié à l’université, qui a appris la littérature, les mathématiques, la théologie, l’histoire de la philosophie – et le moi méthodique : celui qui décide de s’enquérir de la vérité. Chez Kant, cet écart se déplace. Il conduit à distinguer le « je » et le « moi ». D’une part, le pôle de la subjectivité ; de l’autre, le moi concret, celui de l’expérience psychologique que j’explore quand je me livre à l’introspection. Or, ces deux instances ne se fondent jamais l’une dans l’autre. Il n’y a pas de miroir qui permette à l’esprit de se réverbérer. Le « moi » n’est jamais « je ».
Mais si le « je » était lui-même un piège ? Si nous étions dupes de la transparence supposée de notre conscience ? Et si c’était toujours un « moi » qui pensait : un moi incarné, subjectif, biaisé, qui ne présente en lui-même aucun critère, aucune norme qui puisse guider sa pensée ? Un moi qui ne soit rien d’autre que le produit d’un corps engagé dans une histoire relative ? Tel est peut-être le mirage du doute cartésien : c’est un doute momentané. Un doute qui s’arrête dès la Deuxième Méditation. Un doute qui croit qu’il a fini le travail, sous prétexte qu’il bute prétendument sur un point de vérité : le cogito. Mais qu’est-ce que le cogito ? Comment savons-nous qu’il émane d’un « ego » ? D’où sommes-nous sûrs qu’il « pense » ? Et s’il importait donc de se libérer non seulement des tutelles étrangères, des maîtres de conscience mais aussi et surtout de l’emprise du « soi-même » ? L’enjeu n’est pas, à travers cette question, de tenir nécessairement le cogito pour un mirage de plus. Il est incontestable que j’ai l’expérience du « je pense », que je me sens exister, que je me pose des questions, que je suis en proie à certaines croyances. Mais ces phénomènes ne justifient pas d’interrompre le travail du doute. Ce qui n’est pas légitime, en ce sens, c’est la somme des évidences qu’on peut leur associer : pourquoi mon cogito serait-il l’œuvre d’un pur esprit rationnel, autonome, doté d’une lumière fiable, susceptible enfin de devenir le fondement absolu de mes méditations ?
Mais à quoi ressemblerait une philosophie qui enverrait valser toutes ces certitudes ? À une vie, justement : une âme organique, un esprit fait de chair. Une quête incorporée.
Ma naissance, était-ce le bien-fondé de toute mon existence ? Si j’avais surgi chez des parents musulmans, chrétiens, athées ou bouddhistes, si j’avais grandi en Grèce antique, dans l’Arabie du VIIe siècle, en Inde médiévale, en 1910 dans une famille marxiste ou dans mille ans, aurais-je accordé la moindre importance à la Torah ? Aurais-je puisé mes vérités dans le Talmud ? Aurais-je respecté la Loi juive pour guider mes actions ?
La réponse crevait les yeux : non. Non à cette illusion de tenir pour absolue une religion dont j’aurais pu, si le démon de la naissance en avait décidé autrement, ignorer jusqu’au nom. Non à ce conditionnement résultant du hasard. Non à ce confort d’espérer que la Vérité me fût livrée au berceau, sous mes yeux depuis la tendre enfance. Non à cette facilité de tenir mon identité pour le centre du monde. Il me fallait me retourner contre ce que j’avais pris pour le fondement de mon être. Me défusionner de mon « moi ».
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