Cinq étoiles pour le cran, le culot, le courage sans faille, l'intelligence et la modernité de cette jeune fille !
Partie de pas grand chose dans un monde ultra réactionnaire et sexiste et première journaliste d'investigation, bravo !
Le courage, il en faut une sacrée dose, physique et moral, pour aller se faire enfermer dans un asile d'aliénées à la fin du XIXème siècle. Cela lui prend deux jours pour être enfermée, théoriquement sans grand espoir de sortie, dans une espèce de Shutter Island de l'enfer, le Blackwell's Island Hospital, au large de New York. Et comment on se fait enfermer ? Ma foi, c'est simple : le mieux est d'être une femme isolée et pauvre,fragilisée. Nellie, au feeling, mime une insomnie, un regard vaguement hagard, un peu de désorientation et quelques propos fumeux, et vogue la galère, en route pour Blackwell's Island sur un avis médical pas même digne de
Molière...
Sur place, c'est l'horreur, un petit prémisse des futurs camps nazis : torture mentale, coups, famine, déshumanisation, lever dès l'aube, attente dans le froid, travaux forcés, nudité en public, bains glacés, gardiennes sadiques -pardon, infirmières - officiers pervers -pardon, médecins - ...Manquent plus que les bergers allemands et les barbelés. Naturellement, les "patientes" deviennent de plus en plus folles.
L'intelligence de Nellie, c'est la réflexion sur la folie qui parcourt toute son aventure. La folie peut être simulée sans problème, car les médecins la déclarent, non sur des symptômes réels, mais sur une situation sociale à la marge et fragile : femme. J'ai lu récemment que 80 % des patients lobotomisés au XXème siècle avaient aussi été des femmes. Voilà comment on se débarrasse d'une épouse (on le voit dans le reportage), d'une jeune fille trop rebelle, d'une travailleuse qui pique une colère...Quand Nellie retourne sur l'île quelques semaines plus tard en tant que journalistes, elle ne retrouve plus certaines de ses camarades d'infortune...Mortes ? Elle ne cherche pas trop à savoir, c'est là l'unique faille, je trouve, de son travail.
L'autre réflexion sur la folie, elle la mène en ne disant, passé le premier jour, que la vérité et en cessant toute simulation. Rien à faire, personne ne l'écoute. A méditer.
C'est un texte court, mais qui ouvre la voie à de multiples réflexions, notamment sur les liens ténébreux entre médecine et ordre moral, médecine et ordre social. Ces questions sont, bien entendu, toujours à l'ordre du jour, mais sous un déguisement différent. Je pense particulièrement à la médicalisation des "troubles du comportement" chez l'enfant, et à l'invasion générale de la médecine dans l'école...Troubles du comportement...Un mot qui fait peur après avoir lu ce texte...