Ce tome est le premier d'une saison de la série
Daredevil, sous la houlette d'un nouveau scénariste. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2019, écrits par
Chip Zdarsky, dessinés et encrés par
Marco Checchetto, mis en couleurs par Sunny Gho. Les couvertures sont réalisées par
Julian Totino Tedesco. Il comprend également les couvertures variantes (en petit format) réalisées par
Joe Quesada,
Alex Maleev, Gabriele Dell'Otto,
Skottie Young,
Matteo Scalera,
John Romita junior. Ce tome fait suite à Man Without Fear: The Death of
Daredevil de Jed MacKay &
Danilo Beyruth, qui fait la transition avec la précédente saison écrite par
Charles Soule (scénariste de la série de 2015 à 2018, soit 45 épisodes).
Dans un bar, une belle jeune femme sirote un verre, seule au comptoir. Elle se fait aborder par un aveugle : Matt Murdock. Ils papotent sur la fréquentation du bar, essentiellement des repris de justice, et Murdock prend ses anti-douleurs. Il se souvient de son père l'emmenant à l'église pour qu'il aille se confesser au père Cathal. Matt (ayant encore la vue) lui avait raconté comment il s'était battu contre Jeremy Colton qui avait profité de la faiblesse de Davey White pour lui extorquer ses cartes de baseball. le lendemain matin, Matt est assis songeur sur le bord de son lit, et la jeune femme se réveille lui indiquant qu'il faut qu'elle parte parce qu'elle travaille tôt. Une voiture de police et une ambulance stationnent devant un bar où
Daredevil est intervenu. L'inspecteur Edward Taylor conseille à sa coéquipière Tina Deacon de ne pas mentionner
Daredevil dans son rapport sinon elle n'a pas fini de gratter du papier, le maire Wilson Fisk ayant déclaré la guerre contre les superhéros. Leur discussion est interrompue par l'arrivée de l'inspecteur Cole North (un grand afro-américain baraqué). Il a tôt fait de remettre Taylor a sa place et de convaincre Deacon de rédiger un rapport honnête et complet.
Après l'office, le jeune Matt (aveugle et avec sa cane) reste pour parler au père Cathal. Ils discutent de la nature du péché, et de la cécité de Matt, de la volonté divine. Au temps présent, la nuit venue, Matt Murdock n'arrive pas à trouver le sommeil. Il revêt son habit de
Daredevil et se lance de toit en toit. Il rate l'approche d'une corniche et se raccroche de justesse. Il sent qu'il ne s'est pas encore remis de son séjour à l'hôpital. Grâce à son sens radar, il perçoit un cambriolage dans un magasin de spiritueux. Il s'y rend et engage la confrontation contre les 3 voleurs. Il les laisse sans connaissance par terre, mais doit battre en retraite rapidement, du fait d'une forte douleur aux côtes et de l'arrivée de la police. Dans un costume noir, avant son premier costume de superhéros, un jeune Matt Murdock discute avec le père Cathal de l'usage de la violence. Après l'explosion du magasin d'alcools, l'inspecteur Cole North se rend sur place pour examiner les lieux. Wilson Fisk regarde les informations à la télé et sourit en apprenant que Leo Carraro (l'un des trois cambrioleurs) est décédé à l'hôpital des suites de traumatismes crâniens.
Lorsqu'il lance une nouvelle série consacrée à
Daredevil en 2015,
Charles Soule est déjà un scénariste qui divise le lectorat, et il en va de même pour ladite série. Il laisse Matt Murdock brisé, et Jed MacKay le remet sur les rails dans la minisérie intermédiaire.
Chip Zdarsky choisit de prendre en compte les événements récents, en particulier en montrant que Matt Murdock doit prendre des antidouleurs, et que
Daredevil n'est pas revenu au summum de sa forme physique. Effectivement, Matt Murdock se trouve confronté à ses limites à plusieurs reprises et de plusieurs manières : le coup d'un soir qui l'apprécie pour son corps plus que pour son esprit, sa condition physique diminuée ce qui fait qu'il se prend des coups et qu'il n'arrive pas à reprendre le dessus, une bavure qui cause la mort d'un cambrioleur, Wilson Fisk qui est maire de New York, l'aide d'une personne dont il abhorre les méthodes, le regard gêné des autres superhéros qui le voient commettre des erreurs. Indubitablement
Chip Zdarsky sait appuyer là où ça fait mal.
Pour ce premier tome, les responsables éditoriaux ont su engager un dessinateur de premier plan qui réalise l'entièreté des 5 épisodes :
Marco Checchetto. Il dessine dans un registre descriptif et réaliste, avec des traits de contour assez fin et même parfois très fins, évoquant de temps en temps
Leinil Francis Yu. Sunny Gho a d'ailleurs régulièrement travaillé avec Yu. Il réalise une mise en couleurs sophistiquée rehaussant discrètement le relief de chaque surface en jouant sur les nuances d'une même teinte, accentuant légèrement le contraste entre les différents éléments détourés pour renforcer la lisibilité, ajoutant des effets spéciaux à bon escient pour les feux à éclats, les flammes ou encore la lumière artificielle, les fumigènes. le lecteur constate avec plaisir que le dessinateur a disposé du temps nécessaire pour peaufiner chacun des 5 épisodes. C'est visible dans le soin apporté aux décors : les rangées de verre dans le bar, les différences d'architecture des façades dans les rues, les bancs dans l'église avec le support pour le missel, le bureau de Foggy Nelson avec ses dossiers, son ordinateur portable, la lampe de bureau, le lustre dans le bureau de Fisk, le chariot dans l'entrepôt de Leland Owlsley pour charger les caisses dans le véhicule utilitaire, etc.
Marco Checchetto sait donner une apparence spécifique et mémorable à chacun des personnages. Matt Murdock a l'allure d'un jeune home de moins de trente ans, les traits de plus en plus tirés, la barbe de trois jours, des postures montrant qu'il souffre physiquement et qu'il est un peu abattu psychologiquement. Sa conquête d'un soir est charmante, élancée et souriante. Wilson Fisk est imposant, avec une présence physique énorme, et une élégance impressionnante. L'inspecteur Cole North est tout aussi imposant à sa manière, plus athlétique, et le lecteur sourit en voyant l'inspecteur Edward Taylor (pas très épais) menacer physiquement Cole North qui ne cille même pas. En refeuilletant les pages après coup, le lecteur prend la mesure de la part de narration portée par les dessins : les éléments descriptifs évidents (lieux, personnages, leur activité), mais aussi l'état d'esprit de chaque personnage (l'abattement progressif de Matt, l'exultation croissante de Wilson Fisk, la détermination de Cole North, la froideur pragmatique de son sauveur, le détachement de Luke et Jessica, la roublardise d'Edward Taylor), la brutalité des combats physiques, etc.
Le scénario prend ainsi de la consistance grâce aux dessins de
Marco Checchetto.
Chip Zdarsky n'a pas la tâche facile puisqu'il doit trouver sa voix pour prendre en main le personnage, poser les bases de son intrigue à long terme, faire ses preuves auprès des lecteurs qui comptent bien retrouver leur
Daredevil, quoi que cela veuille dire pour un personnage ayant connu des aventures depuis 1964, soit 55 ans d'existence. le scénariste fait le choix d'intégrer quelques éléments de continuité : la condition physique dégradée de Matt Murdock, une brève apparition de Foggy Nelson, Luke Cage, Jessica Jones, l'individu qui tire
Daredevil des mains de la police. Il utilise le lien de Matt Murdock avec la religion catholique en développant sa relation avec le prêtre de l'église de son quartier. Avec ces éléments et un ou deux autres encore, il ne fait pas de doute que l'auteur connaît le personnage, son histoire personnelle et ses caractéristiques. Sans grande surprise, il a choisi un scénario dans lequel Matt Murdock perd peu à peu le contrôle, et subi des échecs qui remettent en question sa vie de superhéros et sa confiance en lui. C'est un schéma très classique pour ce superhéros. Il n'empêche que le lecteur retrouve bien la sensation classique spécifique à ce personnage et que l'intrigue progresse rapidement, avec des situations inattendues qui ne donnent pas l'impression de les avoir lues déjà dix fois.
En fonction de sa relation avec la série
Daredevil, le lecteur peut regretter le départ de
Charles Soule et se dire que le nouveau scénariste fera forcément quelque chose de différent, ou au contraire espérer un retour à une approche plus classique du personnage. Il apprécie tout de suite la narration visuelle restituant bien l'ambiance urbaine et une forme de noirceur, sans singer ni
Frank Miller &
Klaus Janson, ni
Alex Maleev, ou
Michael Lark. Il se doute bien qu'il y a anguille sous roche quant au décès de Leo Carraro, mais ça ne diminue en rien l'intensité de l'épreuve qu'affronte Matt Murdock, déstabilisé par sa faillibilité, et peut-être encore plus par la majeure partie des réactions de son entourage. le scénariste sait utiliser avec doigté la relation de Matt Murdock à la religion pour questionner ses méthodes et introduire le doute en lui. Dans le même temps, ce tome fait office d'introduction, et le lecteur n'est pas encore en mesure de jauger de la qualité de l'intrigue à venir. le scénariste a-t-il joué cartes sur table et toute la thématique est-elle déj mise en évidence ? La suite réservera-t-elle des surprises qui viendront enrichir et développer cette thématique ? de prime abord, le lecteur est fort aise de la direction que prend le récit, de la tonalité de la narration visuelle et de ce début d'intrigue. Il croise les doigts pour que les auteurs soient à même de continuer avec la même qualité, tout en sachant déjà qu'un autre artiste (
Lalit Kumar Sharma) remplace
Marco Checchetto pour les numéros suivants.