"J'entendis alors des voix qui se rapprochaient. Venant à travers les massifs qui entouraient le Sphinx Blanc, je voyais les têtes et les épaules d'hommes qui couraient. L'un d'eux déboucha d'un sentier qui menait droit à la petite pelouse sur laquelle je me trouvais avec ma machine. C'était une délicate créature, haute d'environ un mètre vingt, vêtue d'une tunique de pourpre retenue à la taille par une ceinture de cuir. Des sandales ou des brodequins (je ne pus voir distinctement) recouvraient ses pieds ; se jambes étaient nues depuis les genoux ; elle ne portait aucune coiffure. En faisant ces remarques, je m'aperçus pour la première fois de la douceur extrême de l'air.
" Je fus frappé par l'aspect de cette créature très belle et gracieuse, mais étonnamment frêle. Ses joues roses me rappelaient ces beaux visages de phtisiques - cette beauté hectique dont on nous a tant parlé. A sa vue, je repris soudainement confiance, et mes mains abandonnèrent la machine."
J'avais en ma possession une chose qui était peut-être la meilleure de toutes les défenses contre les Morlocks - j'avais les allumettes.
Il est peut-être maintenant - si je puis employer cette phrase - en train d'errer sur quelque écueil oolithique peuplé de plésiosaures, ou aux bords désolés des mers salines de l'âge triasique.
Nul signe de propriété. Nulle apparence d’agriculture. La terre entière était devenue un jardin.
Je glissais comme un éther à travers les interstices des substances superposées.
j'attendis le retour de mon ami : j'attendis le second récit peut-être plus étrange encore et les spécimens et les photographies qu'il rapporterait sûrement. Mais je commence à craindre maintenant qu'il ne me faille attendre toute la vie.
Mon voyageur n'était pas là. Il me sembla pendant un moment apercevoir une forme fantomale et indistincte, assise dans une masse tourbillonnante, noire et jaune - une forme si transparente que la table derrière elle avec ses feuilles de dessins était absolument distincte ; mais cette fantasmagorie s'évanouit pendant que je me frottais les yeux. La machine était partie. A part un reste de poussière en mouvement, l'autre extrémité du laboratoire était vide.
- Quel malheur que vous ne soyez pas écrivain, dit-il, en posant sa main sur l'épaule de l'explorateur.
- Vous croyez à mon histoire ?
- Mais...
- Je savais bien que non !
L'explorateur se tourna vers nous.
- Où sont les allumettes ? dit-il.
Il en craqua une et parlant entre chaque bouffée de sa pipe :
- A vous dire vrai... j'y crois à peine moi-même... Et cependant... !
- Je sais, dit-il après une pause que tout ceci est pour vous absolument incroyable ; mais pour moi, la seule chose incroyable est que je sois ici ce soir, dans ce vieux fumoir intime, heureux de voir vos figures amicales et vous racontant toutes ces étranges aventures.
Il se tourna vers le docteur.
- Non, dit-il, je ne m'attends pas à ce que vous me croyiez. Prenez mon récit comme une fiction - ou une prophétie. Dites que j'ai fait un rêve dans mon laboratoire ; que je me suis livré à des spéculations sur les destinées de notre race jusqu'à ce que j'aie machiné cette fiction. Prenez mon affirmation de sa vérité comme une simple touche d'art pour en rehausser l'intérêt.
Le risque que je courais était la possibilité de trouver quelque nouvel objet à la place que moi et la machine occupions. Aussi longtemps que je voyageais à toute vitesse, cela importait fort peu. J'étais pour ainsi dire atténué - Je glissais comme une vapeur à travers les interstices des substances interposées ! Mais s'arrêter impliquait peut-être mon écrasement, molécule par molécule, dans ce qui pouvait se trouver sur mon passage, comportait un contact si intime de mes atomes avec ceux de l'obstacle qu'il en résulterait une profonde réaction chimique - peut-être une explosion formidable qui m'enverrait, mon appareil et moi, hors de toute dimension possible...