C'est vrai, Frans de Waal n'est probablement pas le plus grand vulgarisateur de tous les temps, mais c'est une réelle pointure dans son domaine. Il n'est rien moins que le découvreur d'une tendance comportementale qu'on imaginait naïvement être l'apanage de l'homme : la tendance à la réconciliation.
D'abord constatée chez nos plus proches apparentés, les chimpanzés communs (Pan troglodytes) au zoo d'Arnhem où il a travaillé dans les années 1970, l'auteur a ensuite étendu cette observation à des espèces plus distantes de la nôtre, notamment des macaques (Macaca mulatta, Macaca arctoides).
Depuis, nombre de chercheurs ont prolongé ce travail jusqu'à des espèces toujours plus distantes de nous (N. B. : je signale qu'un chercheur français, Bernard Thierry, s'est particulièrement illustré dans ce registre en couplant ce travail à celui du structuralisme et de la covariation des variables comportementales, comme l'avait montré pour l'humain Claude Lévi-Strauss).
À l'issue de cet exposé clair et efficace, Frans de Waal nous invite à considérer cette tendance (retourner voir l'individu avec lequel nous avons eu maille à partir dans le but d'apaiser nos relations à venir) de l'humain comme la forme suprême d'une tendance déjà nettement assise chez les primates sociaux qui ont intérêt à conserver un bon niveau de qualité dans leurs relations sociales.
Néanmoins, si j'avais un livre de Frans de Waal à vous conseiller, ce serait probablement son tout premier, intitulé La Politique Du Chimpanzé, qui, lui, est vraiment captivant. En fait il y a, à mon sens, une corrélation négative entre le niveau de notoriété acquise par l'auteur et l'intérêt des livres qu'il a produit au cours du temps (les derniers étant franchement de bas aloi). Mais tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis de primate, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie         853
Il est rare de pouvoir lire un livre aussi claire en primatologie.
Malheureusement la discipline est assez verbeuse. Ici de Waal est capable de montrer les interactions entre primates en faisant de l'act de reconciliation un acte social pour la communauté.
Asse brillant et facile d'accès !
Commenter  J’apprécie         00
Chez les hommes, les mensonges collectifs sont un moyen familier pour sauver la face. Colin Turnbull a décrit un magnifique exemple chez les pygmées Bambutti du Congo. Chez ces hommes de la forêt, ce sont toujours les femmes qui construisent les huttes, ce qui leur permet de montrer leurs désaccords au cours de disputes conjugales en démolissant une partie de la maison. Habituellement, le mari laisse tomber lorsqu'une dispute atteint ce niveau. Une fois, cependant, un homme particulièrement obstiné n'a pas arrêté sa femme et a même fait remarquer à tout le campement qu'elle allait avoir terriblement froid cette nuit-là. Pour éviter la honte, la femme devait continuer sa destruction. Lentement elle a commencé à retirer les bâtons qui formaient la charpente de la hutte. Elle était en larmes parce que, selon l'anthropologue, l'étape suivante devait l'amener à rassembler ses affaires et à retourner chez ses parents. L'homme avait l'air aussi malheureux. Il est clair que la situation commençait à leur échapper, et pour tout aggraver, le campement tout entier était sorti pour regarder. Soudain, le visage de l'homme s'est éclairé et il a dit à la femme qu'elle pouvait laisser les bâtons : seules les feuilles étaient sales. Elle l'a regardé d'un air intrigué, puis elle a compris. Ensemble, ils ont porté les feuilles jusqu'à la rivière et les ont lavées. Tous deux étaient de bien meilleure humeur lorsque la femme a remis les feuilles sur la hutte, et l'homme est parti chasser pour déjeuner. Selon Turnbull, bien que personne n'ait cru au mensonge que la femme ait retiré les feuilles parce qu'elles étaient sales, tout le monde avait joué le jeu. « Pendant plusieurs jours les femmes ont parlé poliment des insectes qui se trouvaient dans les feuilles de leurs huttes, et ont amené quelques feuilles à la rivière pour les laver, comme s'il s'agissait d'un précédé parfaitement normal. Je ne l'ai jamais vu faire avant ni depuis. »
Le pardon n'est pas, comme certains semblent le croire, une idée mystérieuse et sublime que nous devons à quelques millénaires de judéo-christianisme. Il n'est pas apparu dans l'esprit des êtres humains et aucune idéologie ni aucune religion ne peut donc se l'approprier. Le fait que les singes, les grands singes et les hommes ont tous des comportements de réconciliation signifie que le pardon a probablement plus de trente millions d'années, et qu'il est antérieur à la séparation intervenue dans l'évolution des primates.
On maintient les visiteurs du zoo à une certaine distance, pour les empêcher de provoquer les anthropoïdes par leurs cris, l'apport de nourriture ou l'imitation. Contrairement à l'opinion générale, l'homme imite le grand singe plus souvent que l'inverse. La vue des grands singes induit chez les gens un besoin irrésistible de sautiller, de se gratter exagérément et de brailler, ce qui doit conduire les primates à se demander comment cette espèce si intelligente par ailleurs en est venue à dépendre de moyens de communication aussi frustes.
Toutes les sociétés humaines distinguent entre le fait de tuer à l'intérieur de sa propre communauté, acte jugé et puni en tant que meurtre, et le fait de tuer des étrangers, acte souvent considéré comme un service rendu à la communauté.
Le primatologue Frans de Waal dont les travaux font autorité dans le monde entier, nous explique que les animaux sont aussi capables d?éprouver de multiples émotions. Et si le rire, la peur, la colère, le désir n?étaient pas le propre de l?homme ? Il publie « La dernière étreinte » aux éditions Les Liens qui Libèrent.