L'âpreté est une caractéristique des romans de Montalbán, qui se conjugue paradoxalement avec une certaine exubérance du style, comme si la critique sociale faisait bon ménage avec la luxuriance de la langue.
L'âpreté, ici, est tout d'abord celle de la Vallée de la Mort, entrevue par le hublot d'un avion, puis lors d'un voyage en voiture entre San Francisco et Las Vegas réunissant Pepe Carvalho – encore agent de la CIA – et deux cadres de la multinationale Petnay, Antonio Jauma et Rhomberg. Cette brève rencontre est le préambule de l'affaire confiée quelques années plus tard au détective : élucider le meurtre de Jauma, trop rapidement attribué à un proxénète par la police.
L'Espagne sort tout juste du franquisme, les Ramblas à Barcelone connaissent des affrontements quotidiens entre manifestants de gauche, groupuscules d'extrême-droite et brigade Antimanif, et les milieux économiques s'interrogent sur la transition démocratique. Cependant, les jeux sont faits pour Carvalho et l'affairisme reprend derechef en utilisant l'opacité des organisations capitalistes. La célèbre citation du prince de Salina dans
le Guépard de
Giuseppe Tomasi di Lampedusa pourrait l'illustrer à merveille : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Le passé colle aux semelles du détective, avec son lot de désillusions et de fidélités, ce qui en fait un témoin désabusé de son époque, sauvé par sa gourmandise et sa générosité envers les laissés-pour-compte.