Avec celles de
Stéphane Mallarmé et
Saint-John Perse, l'
oeuvre poétique de
Paul Valéry en impose. Si particulière et si exigeante soit-elle, elle me paraît pourtant incontournable.
C'est en juin 1922 que
Paul Valéry publie son recueil
Charmes. Un titre qui fait référence aux poèmes de l'Antiquité romaine (les Carmina), une référence que l'on trouve dans de nombreux thèmes des textes du recueil. Les poèmes de
Charmes sont de forme très variable : des sonnets alternent avec des textes de forme plus longue, plus ample.
La
poésie chez
Paul Valéry est avant tout affaire de méthode. Elle est pour le poète un moyen de placer dans un lien étroit la création et la connaissance. C'est de leur rapprochement qu'émerge l'idée, le sujet de l'écriture.
Cette méthode d'écriture, pour exigeante qu'elle soit (y compris pour le lecteur), fait apparaître des textes d'une rare beauté, des poèmes dans lesquels l'auteur (je l'ai perçu ainsi) cherche à s'arracher de la condition d'une parole qui entrave, avance en lui-même pour faire advenir une écriture qui soit en elle et hors d'elle-même, qui se surpasse.
« LES PAS
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n'était que vos pas. »
Dans des textes magnifiques comme Narcisse, La Pythie, la Sylphe, Ébauche d'un serpent ou encore
le Cimetière marin, j'ai senti chez Valéry comme une mise en demeure du langage, comme s'il procédait à une analyse de chacun de ses poèmes, comme pour mettre en évidence, en lumière le lien complexe qui unit la sonorité et le sens, la forme et le sujet, et faire advenir dans le poème une signification qui soit entière, absolue.
Ainsi ce très bel extrait du Cimetière marin :
« (…)
Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
A ce point pur je monte et m'accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l'altitude un dédain souverain.
Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l'âme consumée
Le changement des rives en rumeur.
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change !
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.
(…) »
Une
poésie toute intérieure mais qui ne cesse de s'extraire d'elle-même pour tendre à une intemporalité, au sublime.
Pour exigeante que soit la
poésie de
Paul Valéry, rien ne nous éloigne vraiment d'elle. Elle est le reflet d'un absolu du langage, d'une écriture qui dépasse sa seule condition et fait monter le chant poétique dans toute son étrange beauté.
.