Plus jeune, j'ai dû lire "
L'Ami retrouvé" une bonne dizaine de fois... C'est un oncle qui, connaissant mon gout pour
L Histoire et la lecture, me l'avait offert en édition de poche, pour un Noël je crois. Je l'avais dévoré. L'année suivante, c'est une professeure de français qui nous le fit étudier en classe de troisième et je n'avais même pas été frustrée de déjà le connaître. Au contraire. L'histoire de Hans et de Conrad me bouleversait: la grâce de leur amitié, rendue d'autant plus belle qu'elle est contrariée et presque interdite par un contexte historique oppressant, cruel, barbare et implacable surtout; l'acuité de l'expression des sentiments des personnages et cette sensibilité dans l'écriture de
Fred Uhlman. Cette chute enfin. Cette chute...
Lorsqu'un peu plus tard, j'ai découvert un autre chef d'oeuvre du genre, "Inconnu à cette adresse", je n'ai pu m'empêcher de comparer les deux textes. Il me semblait que l'un et l'autre se complétaient, faces opposées d'une même pièce. Pile et face. Blanc et noir. Comme si la nouvelle de Taylor était le reflet inversé du roman d'Uhlman. Cela m'a hanté longtemps... Ces sentiments exacerbés, ce contexte, cet art de la chute...
Je ne saurais dire laquelle des deux oeuvres je préfère... Ce que je sais en revanche, c'est ma tendresse infinie pour "
L'Ami retrouvé" découvert alors que j'avais à peu près l'âge des personnages et une conception un peu absolue de l'amitié moi aussi.
Pourtant, malgré ce petit coup de coeur, je n'ai appris l'existence de "
La Lettre de Conrad" il n'y a que fort peu de temps. C'est étrange et je ne m'explique pas cette lacune... Mais j'aime à voir le verre à moitié plein: j'ai tant aimé découvrir ce versant de l'histoire, j'ai pris tant de plaisir à le lire qu'il me semble que je suis chanceuse d'avoir différé ce moment. "Hic et nunc" dirait le sage. Ici et maintenant, un ineffable bonheur de lectrice. Amen.
"
La Lettre de Conrad", c'est la dernière missive de ce dernier, ce sont les derniers mots qu'il écrit avant son exécution et ils sont pour Hans.
C'est la deuxième voix du duo qui, enfin, se fait entendre. Elle explique, elle demande pardon, elle confesse, elle laisse enfin échapper tout ce qu'elle a tu.
A travers elle, Conrad qu'on ne connaissait qu'à travers la voix et les yeux de Hans s'incarne enfin, dans la douleur, dans le regret mais dans l'amitié surtout et à travers elle,
Fred Uhlman n'en finit pas de dénoncer la barbarie du régime nazi tout comme il célèbre l'amitié, la culture, la beauté et la poésie, comme des étendards.
Au delà de la charge émotionnelle de ce texte poignant et sensible, il faut souligner la pertinence des paragraphes consacrés à "l'embrigadement" de Hans et leur acuité, celle de ceux qui évoquent la mécanique implacable de l'antisémitisme -comme dans un discours de Mme Morano, il y avait pour certains l'ivraie et le bon grain, mais pas trop quand même avant la haine- tout comme la finesse psychologique qui nimbe tout le texte et qui le rend d'autant plus puissant.
Bien sûr que je ne suis pas objective. J'ai trop aimé "
L'Ami Retrouvé" pour ne pas tresser des lauriers à mes retrouvailles avec Hans et Conrad surtout -mon préféré, il faut bien le dire-. Des lauriers et des roses. Pour la beauté et pour la gorge nouée.