Qui pouvait affirmer que l'avenir n'était que désespoir ? L'oubli était peut-être un ingrédient du bonheur et il s'agissait là d'un voyage au bout de la nuit.
La prison était un labyrinthe dans lequel I' esprit pouvait s'égarer, s'enferrer dans les angles vifs des réseaux entrecroisés de centaines d'existences qui étaient emprisonnées à l'intérieur. Il n'y avait rien de naturel dans cette géométrie privée de tous les jeux de la fantaisie, faite pour maintenir l'homme dans un univers de confinement en totale opposition avec les courants impétueux et capricieux de la vie. Ce n'était pas une sanction imposée pour rééduquer, mais un châtiment, et franchir le seuil de cet univers supposait d'en accepter l'ombre sur soi, d'en respirer l'odeur métallique, cruelle, masculine. Cela supposait d'accepter, I'espace d'un instant, de se laisser enfermer. Teresa ne s'habituerait jamais à cette impression de sentir ces vies peser sur elle ; au-delà des murs épais, des barreaux, des portails qui les maintenaient à distance, ces vies trouvaient le moyen de la frôler. Elles étaient enragées, tout simplement désespérées.
La mort s'était levée comme une brume diffuse dans un bosquet d'acacias en fleur. dans l'humidité odorante d'une cuvette verdoyante traversée par un canal. Elle avait rampé sous la forme d'une fumée depuis le fond limoneux, loin des lumières de la ville .Dans l'aube bleue, entre les gouttes qui faisaient briller le feuillage et le coassement des grenouilles ,la terre gonflée de bulbes s'était imbibée de sang .
Les crises de panique la surprenaient toujours dans l'obscurité, dans le silence, les bras et les jambes agrippés aux draps, offerte à la perte. Elles jaillissaient montées sur une harde de chevaux sombres lancés au galop contre les pentes de sa peau marbrée. Ils galopaient en heurtant les points de suture, ils lui enfonçaient leurs sabots dans les genoux, au creux des coudes, piaffaient sur les clavicules, sur les chevilles. Ils effritaient ce que Teresa maintenait à grand-peine, brisant la femme d'os qu'elle était devenue, femme écorchée. Ils la réduisaient en menus fragments et chaque fois un petit morceau d'elle se dispersait.
Renoncer c'est toujours un peu mourir. Page 68
De temps en temps, il faut défendre la bête, Marini, et se rappeler l'enfant que tout monstre à pu être.
Il n'y a aucune poésie dans la vieillesse.
"Je dois y aller, mais je reviendrai, lui avait-il dit.
-Je le sais, que tu reviendras. Ça ne m'a jamais réussi d'essayer de me libérer de toi."
Une phrase qui pouvait prétendre au titre de la plus grande déclaration d'affection qui soit au monde.
Il aurait voulu lui expliquer que parfois les gens n'approchent pas pour blesser et s'acharner, et il aurait voulu lui demander ce qui lui était arrivé pour qu'elle imagine le contraire, mais pendant tout ce temps il garda le silence. Il ne voulait pas rouvrir des blessures pour venir les examiner.
Renoncer, c'est toujours un peu mourir.