Ayant lu un bon nombre des récits d'aventures et de voyages de
Sylvain Tesson, il me manquait cette extraordinaire chevauchée des steppes, pourtant parue en 2001, qui aurait dû attirer mon attention bien plus tôt.
Ce retard est maintenant comblé, après une lecture éblouissante d'une multitude d'émotions et de perceptions, qu'elles soient géographiques, humaines ou animales à travers la relation que Sylvain et Priscilla ont vécu avec leurs trois chevaux qui sont devenus les héros de leur aventure, au point de la conclure par une pensée émue à leur égard.
Ce n'est pas vraiment une chevauchée puisque les deux aventuriers marchent la plupart du temps aux côtés de leurs montures afin de les épargner, d'autant qu'elles transportent tout leur matériel de voyage. Ils avancent donc à un rythme tranquille mais imperturbable au fil des jours, depuis le Khirghizistan jusqu'au bord des misérables restes de la mer d'Aral, en traversant le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, avec la mythique Samarcande au coeur de leur périple.
Leur narration est très enrichissante, tant par la variété et la qualité des rencontres, que ce soit dans la tiédeur des yourtes ou à l'abri dans les maisons de ceux qui les accueillent. Les descriptions des paysages très changeant au fil de ce long périple procurent au lecteur une découverte de la nature, des immensités herbeuses, de la steppe désertique, de la faune et de la vie des populations tout au long du chemin.
De nombreuses péripéties viennent quelquefois contrarier leurs intentions : orages de montagne d'une grande violence, tracasseries administratives des pseudo-autorités aux frontières, tentatives de vol de leur matériel ou, pire, de leurs chevaux.
Le récit de leur voyage est aussi une excellente occasion de s'immerger dans la transition que vécurent ces ex républiques soviétiques avec la fin de l'Union au cours des années 90. On découvre des statues aux yeux légèrement bridés des leaders soviétiques et on peut déceler aussi certains regrets des populations par rapport à l'ère communiste qui leur apportait certaines garanties malgré tout.
Grande place est faite à l'accueil qu'ils reçurent, avec quelquefois des difficultés pour adopter les attitudes appropriées à l'égard de leurs hôtes, surtout quand il s'agit de manger au-delà du possible et de boire la vodka en quantité impensable. On a d'ailleurs un passage intéressant sur le cérémonial du thé qu'ils partagent avec leurs hôtes.
Et puis, le but final du voyage, cette pauvre mer d'Aral dont ils parviendront à approcher les lèvres douloureuses, toujours plus loin que là où elle se trouvait trente ans plus tôt, l'eau ayant été sacrifiée aux plantations intensives de coton. Ils vont donc percevoir l'émotion et la tristesse de ces anciens pêcheurs de la mer d'Aral qui pleurent leur bienfaitrice quasiment disparue.
Leur récit, tout en étant factuel et réaliste, s'attache à monter tous les changements survenus pour ces populations, ceci avec une absence de jugement à leur égard, sauf à l'encontre des meurtriers destructeurs de la mer d'Aral.
Une belle note finale avec les adieux à leurs chevaux qu'ils ont voulu confier à des personnes de qualité qui en prendront le plus grand soin, même s'ils ne pourront revoir les vastes prairies herbeuses des Monts Célestes.