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EAN : 9782246739715
976 pages
Grasset (01/02/2012)
3.15/5   42 notes
Résumé :


Dresde, 1982. Sous le poids du régime est-allemand, la bourgeoisie tente de tromper la grisaille quotidienne. Il y a là Meno, correcteur pour une maison d'édition, qui se doit de composer avec la censure ; son beau-frère Richard, chirurgien renommé, père d'une fille adultérine, et que la Stasi essaie de faire chanter ; Christian, adolescent, fils de Richard, étudiant brillant et déjà opposant au régime.

Chacun tente de s'adapter à la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Quand une adaptation télévisuelle sauve un livre...
Du moins pour moi!

A sa sortie, ce livre sur la dernière décennie de la RDA avait tout pour me plaire.
Et ce fut un raté: j'ai tenté, posé, repris et abandonné, au motif que la lecture se doit quand même d'être un plaisir et ce n'était pas le cas! Pourtant le sujet, la période, le recul historique étaient des atouts mais le traitement en était si lourd que je me suis perdue en route.

Et puis, contre toute attente, la chaine Arte a programmé une adaptation très réussie en décors et personnages, mettant en lumière l'absurdité d'un système politique moribond et le difficile quotidien d'une population, toutes générations et métiers confondus, qui courbait le dos et subissant sans plus y croire. Les digressions de l'écriture n'encombraient plus une chronique familiale passionnante.
Il n'est pas exclu que je reprenne le livre un jour prochain...

La Tour. Téléfilm allemand de Christian Schwochow (2012)
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RDA, les années 80. C'est l'époque des entreprises collectives du peuple les « VEB », des files d'attente devant les magasins, des Lada et des Trabant, du troc, des autorisations administratives pour régler les questions domestiques, des réquisitions de logement, des regards inquisiteurs, de la parole fragile qu'on ne peut abandonner au jugement rapide des gens, des contrôles policiers arbitraires, de la corruption grandissante au sein de la nomenklatura, du ciel gris voilant les espérances individuelles…

Face à cette laideur du quotidien, la Tour est ce quartier de Dresde où les habitants, médecins, chirurgien, ingénieur, directeur d'édition, construisent leur « propre réalité pour la façonner selon leurs rêves ». Face à une vie suspendue à un marteau et une faucille qui s'avèrent de plus en plus rouillés, chacun se réfugie dans ses pensées, ses souvenirs ou ses espoirs tenus pour rompre avec la réalité et la rendre plus supportable.
Ils se réfugient dans les livres ou la musique, ou encore se ressourcent dans la solidarité sincère créée entre eux de sorte que ce quartier apparaît comme une île ceinturée d'un mur et de barbelés.

L'auteur dépeint habilement cette part immobile de l'Histoire, cette vie faite de temps et de tristesse, ces gens discrets que rien ne semble ébranler, pas même un régime qui leur est hostile. Parmi eux, Christian adolescent doux rêveur et sensible appelé à grandir plus vite qu'il n'aurait voulu.
Rares sont les marxistes convaincus, quelques uns le sont par opportunisme, mais la grande majorité, parce qu'elle a une vision singulière, se dissimule derrière une discrétion anglaise. Les critiques sont toujours prononcées à voix basse, à l'abri des regards scrutateurs et des sourires aigres-doux. C'est une population vulnérable et usée par des lendemains empêtrés dans une révolution marxiste à bout de souffle.
Malgré tout, la prudence lasse, irrite. le détournement de la vérité, le zèle bureaucratique absurde, l'arrivée de nouveaux habitants et la rage impuissante qui s'accumulait jusque-là annoncent subrepticement des changements à venir face à ce qui apparaît rétrospectivement comme les ultimes sursauts du régime.

Uwe Tellkamp a construit un roman plein de sensibilité qui creuse un sentiment accablant d'immobilité, d'indolence, de désarroi ou encore d'impuissance silencieuse dans un pays gris et prisonnier de ses idéaux. le temps parait immuable et les choses intangibles.
L'auteur a choisit le récit contemplatif d'abord parce qu'il a le talent pour nous imprégner de toutes ces choses qui échappent au langage et que les mots interdits dans un État policier ne peuvent relater_ La parole n'étant pas libre, le moindre reproche pouvait faire basculer une vie. Ensuite parce qu'il convient de reconnaître à Tellkamp une intelligence intuitive qui appréhende brillamment le genre humain.
C'est un roman lent qui s'insinue dans les profondeurs du désenchantement humain, rien de hâtif dans l'écriture vagabonde, élégante et racée. Si bien que parfois le rythme narratif apparaît malheureusement trop lent, le souffle évocatoire embué par une subtilité et des digressions pas toujours accessibles. Chacun des personnages s'attachant à demeurer impénétrable.


La Tour n'en demeure pas moins une évocation « lumineuse » de la vie en RDA divisée entre amis et ennemis, écrasée de tout son poids par le dogmatisme aveugle. Lorsqu'on s'intéresse à la biographie de l'auteur, on se dit qu'il revisite son passé, les lieux et les choses oubliées ou incomprises lorsqu'il était plus jeune.

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C'est une montagne à escalader. La tour de Uwe Tellkamp s'élève à 965 pages et l'oxygène n'est pas fourni. Comprenez qu'aucune note du traducteur ou explication quelconque des nombreux acronymes et abréviations qui figurent dans le le livre, ne viennent à l'aide du lecteur. de la mort de Brejnev à Gorbachev, c'est à dire de 1982 à 1989, l'auteur raconte de l'intérieur le pourrissement et la chute d'un système : celui de la RDA. Pour être plus exact, il décrit l'existence de trois personnages principaux, mais les "figurants" sont multiples, de la famille Hoffmann : Richard, chirurgien ; Christian, son fils, lycéen puis tankiste durant son long service militaire ; Meno, correcteur dans une maison d'édition. Sur plus de 80 pages, Tellkamp commence par détailler par le menu une fête d'anniversaire au sein d'un milieu bourgeois dresdois plutôt privilégié. Difficile alors de se croire en RDA. C'est insidieusement, en prenant son temps, il peut se le permettre, que l'auteur va disséquer les rouages et le vrai visage d'un pays fonctionnant en circuit fermé et dont il faut accepter les contraignantes règles pour survivre. L'entreprise littéraire est colossale, d'une richesse inouïe tant par sa minutie, vie publique et vie privée, que par son style qui évolue au gré des chapitres, tout en restant fidèle à une précision d'orfèvre que ce soit du point de vue psychologique ou factuel. Un portrait saisissant des sept dernières années de la RDA à travers une chronique d'"un monde englouti." Immense tapisserie aux multiples motifs, La tour est un exercice d'apnée intenable pour qui ne maîtrise pas à fond l'histoire du pays. L'asphyxie guette et il est quasi impossible de ne pas sauter quelques passages, de temps à autre, quand cette recherche du temps perdu devient ultra descriptive. A la façon d'un Proust ou d'un Mann, voire d'un Tolstoï, comme l'ont justement pointé la plupart des critiques. A l'assaut de ce livre-monstre, il est cependant possible de se choisir un thème personnel, de manière peut-être subjective, mais cela permet de ne pas se laisser emporter par le courant sans se débattre. Par exemple : le refuge que constitue la culture en temps de dictature, morale et politique. Les trois "héros" de Tellkamp s'accommodent du régime en place et se sauvent peu ou prou en se passionnant pour la musique et la littérature. Jusqu'à l'abandon. Ce n'est sans doute qu'une manière dérisoire de lutter et, vue sous un certain angle, même plutôt lâche, mais elle maintient en vie et à flot. Et ce qui vaut pour ces personnages de fiction est aussi opérant pour un lecteur au bord de balancer l'ouvrage par dessus bord. Ce qui serait dommage, eu égard au travail de titan et au talent incontestable d'Uwe Tellkamp. Mais, mein Gott, que c'est difficile de ne pas renoncer dès la deux-centième page !
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En 1982, Brejnev vient de s'éteindre à Moscou, Iouri Andropov lui succède et la RDA ne sait pas encore qu'elle entame la dernière ligne droite qui la verra bientôt foncer droit dans le Mur. Mais en attendant, non loin de la frontière tchécoslovaque, à Dresde vivent quelques habitants que l'on pourrait qualifier de privilégiés, puisque certains ont des postes respectables et fréquentent à l'occasion "la Rome orientale", comme on appelle cet îlot suspendu au bout d'un pont bien gardé, et qui abrite la nomenklatura locale.

C'est le cas de Meno Rhode, correcteur pour les Editions de Dresde, de son beau-frère Richard Hoffman, médecin-chef et chirurgien réputé, d'Anne, son épouse et de leur deux enfants, dont Christian leur fils aîné. Si le roman tourne autour de ses quatre personnages principaux, l'auteur nous offre aussi un foisonnement de portraits divers et variés qui composent ce microcosme étonnant auquel se mêle la classe laborieuse. Car nous sommes dans "la bourgeoisie" d'un quartier résidentiel dont la Tour est le centre à partir duquel rayonnent la Maison des Mille Yeux, la Maison Etoile du soir, la Maison aux Dauphins, la Maison Italienne, la Maison aux Glycines, la Caravelle. Mais ne vous y trompez pas, ces noms poétiques ne sont pas la garantie d'un confort grand luxe ni d'une vie facile et insouciante tout bourgeois que l'on est au paradis socialiste. Car si les protagonistes jouissent de quelques facilités, ils doivent se plier comme tout un chacun à la bureaucratie ubuesque du pays.

S'ils osent se livrer sur le ton de la plaisanterie ou de la confidence à quelques critiques, la question centrale et omniprésente est "Qui en est ?" (de la Stasi, évidemment), et le procédé est à la fois simple et pervers pour vous en faire "y être" et devenir "un de Ceux-là"... Et quand il s'avère que Richard mène une double vie et que son fils Christian fait des siennes lors de sa préparation militaire qui doit lui ouvrir les portes de l'université, la belle façade de respectabilité n'est pas loin de se fissurer.

Voilà un livre impossible à résumer davantage, car il s'agit d'une immersion à haute valeur littéraire dans plusieurs univers, sociologique, politique et culturel. Les critiques évoquent un talent égal à celui de Thomas Mann dans Les Buddenbrook. Personnellement, ce livre représente pour moi l'idée que je me fais d'un prix Nobel, ce que je lis rarement. le sujet est ambitieux, l'écriture riche et dense (bien trop, n'hésitons pas à le dire), les personnages et références nombreux (pour qui n'est pas familiarisé avec l'Allemagne des notes de bas de page auraient souvent été les bienvenues) et c'est un roman presqu'aussi long que l'Elbe, 965 pages dans lesquelles je me suis parfois égarée mais pour mieux y revenir !

Il n'en reste pas moins que c'est un superbe témoignage sur la fin d'un monde et d'une époque, mais c'est un livre qui se mérite. Si l'Union des Travailleurs de l'Esprit existait encore, Uwe Tellkamp aurait eu une médaille, sans doute aucun il a atteint ici la norme !

Lien : http://moustafette.canalblog..
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Cédant aux critiques élogieuses, je me lance dans la lecture de ce livre de près de mille pages pour une immersion dans les sept dernières années de l'Allemagne de l'Est, celles qui ont précédé la chute du Mur en 1989; celles qui ont vu le régime s'essouffler et les derniers avatars de l'autoritarisme piloté depuis Moscou s'exprimer dans des soubresauts tantôt tragiques, tantôt comiques. L'auteur, Uwe Tellkamp est nous dit-on chirurgien de son état (mais quand a t-il trouvé le temps d'écrire ce roman?). Dans ce superbe livre, il décrit de l'intérieur, et l'on s'en doute parfois sur le mode autobiographique, les avanies et folklores divers du régime est-allemand. Il utilise pour cela le fil d'Ariane constitué par une famille, père, frères, soeurs, oncles, tantes et grands parents, auxquels viennent s'ajouter grand-parents et amis divers. Se détachent cependant du lot trois personnages masculins, les critiques jugeront peut être que c'est la trinité selon laquelle s'est construit l'auteur: le père, Richard, brillant chirurgien dont on fête les cinquante ans au début du livre durant 80 pages de pur art littéraire. Son fils Christian, bachelier puis soldat perdu au service militaire sans fin de l'ex RDA comme tankiste. Enfin Meno, l'intellectuel, oncle maternel de Christian éminent critique littéraire, mais aussi zoologiste et entomologiste. Pas seulement critique du reste ce Meno, car aussi doué d'un talent d'écrivain poétique que l'on découvre au fil des pages et d'un sens politique aigü qui lui permet de naviguer sans trop de dommages dans les jeux de pouvoirs terribles de la RDA et de sa nomenklatura. Au passage petite pirouette de l'auteur qui donne comme surnom à Christian durant sa période de bidasse "Nemo" , jeux d'anagrammes avec Meno, sur le néant de la personne dans ce régime.
Il a été comparé ce roman à la "Montagne sacrée" de Thomas Mann, en raison du parcours initiatique du jeune Christian, des sept années du récit, de la peinture de la bourgeoisie allemande au seuil de la première guerre mondiale. Si je partage ce point de vue sur la comparaison avec Thomas Mann, je suis plus réservé pour le rapprochement avec la "Montagne sacrée" qui s'apparente davantage à un huis clos en sanatorium et au parcours initiatique du seul héros du livre. Je trouve que "la Tour", se rapproche à mon sens, davantage des "Buddenbrock". du reste les deux romans débutent sensiblement de la même manière: un grand festin dans les deux cas, l'un chez un consul de Lübbeck, l'autre pour le "jubilé" de Richard, le père, dont la figure de commandeur va être laminée par les évènements et le régime ; la déchéance annoncée puis devenue réelle d'un ordre social, la place singulières des femmes comme catalyseurs de biens des évènements,tantôt mères courage, tantôt jeunes romantiques évanescentes ou désenchantées. Chez Tellkamp ces femmes sont fortes d'un courage admirable. J'ai retenu parmi toutes ces figures féminines, celle admirable d'engagement et de courage de l'artiste (écrivaine) Judith, qui entretient une relation aussi platonique qu'intense avec Meno.
Outre cet héritage littéraire très allemand, il y a aussi indéniablement un côté proustien dans l'écriture de Tellkamp, d'ailleurs il le cite à plusieurs reprises. Enfin l'auteur est très shakespearien dans son rapport à la violence. Il ne la montre pas, ne la décrit pas, elle est habilement suggérée puis reconvoquée par touches, ce qui au passage lui procure une force de conviction gigantesque qui ébranle le lecteur. Il y a bien sûr du Kafka dans toutes ces épreuves que constituent les tracasseries administratives ou dans le rouleau compresseur moral que constitue la discipline politique et sociale imposée aux citoyens de cette république totalitaire. Enfin, il y a un certain côté absurde qui aurait bien convenu à un Sartre ou un Camus, traité par Tellkamp non par le sermon, mais par l'humour.
Toutes ces comparaisons ne valent que pour exprimer la très grande littérature à laquelle nous avons à faire ici. Ce livre est un magnifique roman, au sens le plus noble du terme. Sa construction est magistrale et les personnages si nombreux que les citer ici serait illusoire. L'auteur est aussi un très habile ami des détails, il produit des descriptions pointilleuses, de choses simples comme un objet du quotidien, tout autant que de raretés comme des papillons d'Amazonie nommés Uranides. Les métaphores sont abondantes, la ville de Dresde est un personnage à par entière, tout comme par exemple la machine à repasser présentée sous les formes d'un insecte menaçant.
Evidemment une petite connaissance du régime est-allemand ou des dernières années de la RDA est une aide forte pour la compréhension de ce roman. de même que la connaissance des lieux et rues de Dresde, cités si souvent peut aider à mieux se figurer les lieux évoqués.
Pour conclure : une lecture époustouflante, un vrai talent de romancier, et l'attente d'un prochain opus, qui s'il se révèle du même tonneau, fera indubitablement entrer cet écrivain très brillant dans les très grands littérateurs allemands.
Bravo pour la traduction superbe. Enfin, je recommande aux curieux d'aller voir du côté des sites en langue allemande, où nombre de détails du livre sont explicités.
Enfin, pour les lecteurs qui auront aimé, je ne peux que me permettre de recommander la lecture sur une thématique proche de "Renégat, roman des temps nerveux," de Reinhardt Jirgl.
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critiques presse (5)
Telerama
21 mars 2012
On est saisi par la densité romanesque de cette saga tout ensemble politique, sociale et intellectuelle, qui magnifie le meilleur de la tradition littéraire européenne, pour nous entraîner dans un voyage épique à travers notre histoire.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
24 février 2012
Près de mille pages tressées menu. Un scénario vertigineux. Un document politique de premier ordre sur l'agonie de l'Allemagne de l'Est.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LePoint
22 février 2012
Né en 1968, Uwe Tellkamp a avoué plus d'une ressemblance avec son héros. Mais l'autobiographie est sublimée, transcendée par une écriture d'un souffle et d'une ampleur rares dans la littérature européenne.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
10 février 2012
Par son style qui emprunte au registre fantastique autant que par ses côtés rugueux ou oniriques, ce roman ne se contente pas de raconter.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
06 février 2012
«La Tour» raconte, dans une langue d'une extraordinaire richesse et avec un incroyable luxe de détails, l'agonie de la RDA, à travers le regard d'un jeune garçon, Christian Hoffmann - le quasi-double de l'auteur -, depuis son enfance jusqu'à ses années dans l'armée.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Aux mâts qui se dressaient à droite du point de contrôle, les drapeaux battaient mollement : le rouge, avec le marteau et la faucille, le noir-rou-ge-or avec le marteau, le compas et la couronne d'épis, le bleu avec le soleil qui se levait en son centre, un blanc avec les portraits stylisés de Marx, Engels et Lénine. Les sentinelles postées à côté des mâts regardaient fixement, droit devant, en présentant leur kalachnikov. Ces visages semblaient parfaitement impassibles et pourtant, il le savait, ils observaient le moindre de ses mouvements. Il sentit aussi le regard du capitaine derrière le miroir sans tain du poste de contrôle, celui qui donnait sur la place.
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L’histoire était-elle semblable au fruit, était-elle suspendue comme une poire fière et juteuse devant les yeux de l’humanité qui rêvait d’eau et de sucré ? On pouvait distiller une gnôle de premier ordre avec ce genre de poires … Le socialisme était-il alors la poire, et le communisme l’alcool de fruit qu’on en extrayait ? De l’alcool de fruit pour tous. Et le lendemain matin la gueule de bois … ?
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Meno savait qu'il abordait une mission difficile. Schiffner n'aimait pas ces conversations avec ses auteurs et c'est lui, son lecteur, qu'il envoyait en première ligne. Meno estimait - il en avit déjà parlé une fois avec Schiffner, sans obtenir d'autre résultat qu'une crise de rage de son directeur, qui lui fit penser à un accès de mauvaise conscience - qu'il y avait quelque chose de déloyal, peut-être même d'obscène dans ces entretiens. On indiquait à l'auteur quels passages feraient selon toute vraisemblance obstacle et on le laissait ensuite décider si et dans quelle mesure il était disposé à la censure, c'est-à-dire à l'auto-censure. Certains disaient qu'il s'agissait d'un procédé honnête ; mais à l'humiliation due au fait que l'on n'imprimait pas les textes tels qu'ils étaient s'ajoutait celle née de ce qu'on laissait à l'auteur le soin de les tuer lui-même par étapes successives. Il ne restait plus alors aucune possibilité de se défendre contre certains reproches ; l'auteur n'avait-il pas donné lui-même à son texte la forme dans lequel il paraissait ? Cette pratique était monnaie courante dans toutes les maisons d'édition ; mais Meno avait des serrements de coeur lorsqu'il s'y adonnait et éprouvait alors de la compassion pour ses auteurs - et ce n'était pas seulement parce qu'il en était un lui-même.
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L'attaque des sauterelles livriciles s'accomplit par vagues, l'observateur avisé repère son début imminent au fait que les yeux de l'insecte lancent de toute façon toujours des regards avides, se rétrécissent en fentes qui révèlent la faim. Cet appétit se porte avant tout sur les couleurs. L'essentiel : qu'elles soient vives. Plus la proie est criarde, mieux c'est. Et plus il y en a, mieux c'est aussi. Ce qui fascine le plus la sauterelle livricole, c'est la couverture rouge. Le soupçon dit : ça a quelque chose à voir avec nous. Si la fente de faim entre les paupières a enregistré un nom de dissident, il faut agir immédiatement. Le lecteur en éveil doit être entraî,é par la sauterelle livricole B dans une discussion stratégique tandis que la sauterelle livricole A, coeur tambourinant, pris d'accès de sueur et aveuglé par le courage, tâtonne sur l'étagère et à la vitessse de l'éclair (le geste doit s'arrêter avec un doux mouvement de ressort au-dessus de la couverture de la proie), c'est la pause qui décide de tout, la seconde de peur emplie de bonheur : je l'ai ! C'est ça, entre mes doigts, la couverture est lisse et vient de l'Ouest, à présent :
Détacher les boutons du manteau de foire,
Regarder élégamment vers le haut, humecter ses lèvres sèches avec la langue
Simuler un accès de toux
Se courbe'r
Devenir rouge, ne pas oublier ça
Amplifier la toux
Ouvrir le manteau de foire
Fermer les yeux et ...
Filer
Filer
Filer
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Le Serpentaire, les Cheveux de Bérénice, la Couronne boréale, la Baleine - Christian se rappelait l'enchantement qu'avaient produit sur lui ces mots et leurs traductions latines, lorsque Meno les avait prononcées devant l'horloge, à mi-voix, presque avec nostalgie, en désignant les gravures - la première fois, c'était lors dune soirée, il y a environ dix ans, lorsqu'ils lui furent susurrés à l'oreille comme si on lui instillait une substance indéfinissable, mais qui paraissait agréable, et lui avait donné l'intuition que dans le monde des adultes - lequel avait aussi été le monde du géant incompréhensible qui vivait dans d'autres régions, à côté de lui, celui que sa mère appelait "cher frangin" ou Mo -, que dans ce monde, donc, il existait des choses particulières et très intéressantes : des mystères ; et là, dans son esprit d'enfant, quelque chose avait dû se produire, ou bien avait grandi dissimulé pour éclore d'un seul coup : Christian n'avait plus oublié ces mots et leur sonorité singulière.Ophiuchus. Coma Berenices. Corona Borealis. Cetus.
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